La Folie et l'Honneur

 

Rien n’est plus important pour un nain que l’honneur — à part peut-être sa barbe, mais les deux sont étroitement liés, aussi étrange que cela puisse peut-être vous paraître. Qu’il advienne à un nain que son honneur soit sali et, si cela est grave, il se fera tueur. Que sont les tueurs, me diriez-vous ? Des guerriers psychopathes, vous répondrais-je dans un premier temps. Mais, dans un second temps, et on s’en rend compte en prenant comme moi un peu de recul sur leur situation et ce qui les a poussé à devenir tueurs, ce sont des nains brisés, accablés d’une faute ou d’un chagrin tellement important que vivre devient une torture quotidienne presque physique. Mais le suicide est un gâchis, et quoi que vous puissiez dire, vous et toutes les autres races, il n’y a rien de pire qu’une mort inutile. C’est pourquoi ces nains brisés, accablés de chagrin et de honte, deviennent des tueurs : puisque leur mort ne doit pas être vaine ni gratuite, ils mourront en combattant l’adversaire le plus terrible qu’ils puissent trouver —sans quoi les portes des Halls de Grimnir leur seront fermées à jamais, et leurs âmes seront condamnées à errer pour l’éternité. Qu’entends-je ? Folie que de se choisir un tel destin ? Sûrement. Même plus que sûrement, car la folie est souvent à l’origine de la « naissance » d’un tueur, et sa folie ne le quitte rarement après cela, cela tout nain le sait, car en ces temps troublés, bien trop de tueurs parcourent le Vieux Monde.

 

Prenez donc l’exemple de ce vieux Thane, Drongi Thromninsson ! C’est un exemple plus que probant, je vous l’assure, et croyez-moi je suis le mieux placé pour vous en raconter l’histoire. Un jour il reçut la visite de son gendre, ce dernier étant seul, blessé en de multiples endroits et couvert de poussière. Il était parti deux semaines plus tôt avec la fille du Thane pour un voyage vers la mine que lui léguait son père en guise de cadeau de mariage. Et s’il était venu, s’est parce qu’il était porteur de graves nouvelles. Des skavens les attendaient dans les profondeurs de la mine, et ils s’étaient attaqués à leur petit groupe. La fille du Thane faisait parmi des victimes, voyez-vous. Il avait pourtant essayer par tous les moyens de récupérer son corps afin que les vils hommes-rats ne la déshonorent pas dans sa mort, avait assuré le jeune nain à son beau-père, mais les skavens les avait pressés jusqu’aux niveaux supérieurs et s’étaient claquemurés dans les profondeurs, condamnant le seul moyen d’accès à aux mines ! Il avait alors, comme tout nain doté d’un certain bon sens, à mes yeux tout au moins, donné l’ordre à ses guerriers survivants —à peine une vingtaine— de garder la porte pour qu’aucun ennemi n’en sorte pendant que lui-même allait quémander de l’aide chez son beau-père puis chez son père, afin de mener une expédition punitive qui écraserait les skavens installés dans la mine, et leur permettrait de mettre la main sur le corps de sa jeune femme. Mais malheureusement, en entendant ces mots, quelque chose se brisa à l’intérieur du vieux Thane, dont la fille était l’unique enfant, et qu’il chérissait plus que tout autre, et, devant les regards horrifiés de ses hommes, il poussa un terrible cri et, cédant à la folie, n’étant plus maître de lui-même mais mené par une rage et, en même temps, un terrible chagrin, il décapita son gendre sans qu’aucun des nains présents ne puissent esquisser quelque mouvement. Terrible scène que cela a dû être pour une personne saine d’esprit en étant le témoin ! Et, alors que tous s’étaient figés sous la violence inattendue et l’horreur de la scène, le Thane se saisit de la tête du jeune nain et courut hors de la salle. Personne n’osa l’arrêter tellement l’aura de folie qui s’émanait de lui était terrifiante. Il est dit qu’il alla trouver le père de sa victime —un autre Thane de la forteresse— et lança à ses pieds sous les regards de tout son clan la tête de son fils avant de les insulter de tous les maux, maudissant sa famille et son clan avant de cracher sur la barbe du père et de partir de nouveau en courant. Là encore personne n’esquissa un seul geste avant que le nain pris de folie ne soit parti, tellement ils étaient stupéfaits de cette explosion de folie furieuse chez ce nain qui était d’ordinaire si sage et avisé. Lorsqu’ils se mirent sa recherche, des gardes leur apprirent que le vieux fou avait couru jusqu’au temple de Grimnir, saisit un couteau qui trainait là et coupé ses cheveux et sa barbe, ne laissant de sa luxuriante et révérée toison qu’un moignon de barbe qu’il teinta en orange avant de prendre une hache laissée là en offrande par un tueur de passage, et s’enfuit du temple et de la forteresse. Les vigiles de la porte témoignèrent devant le père : il passa en courant devant eux, qui trop stupéfaits et ignorants du drame qui s’était produit ne réagirent pas, et les échos de ses cris empreints d’une folie sans limites retentirent longtemps dans la vallée boisée surplombant le Karak. Nulle âme de la forteresse ne devait le croiser à nouveau. Quelle triste et pathétique vision qu’on dû avoir les habitants du Karak de ce vénérable nain tombé si soudainement dans la folie ! Quelle triste fin ils durent s’imaginer que le vieux Drongi trouva dans les montagnes ! Je n’aurais pas aimé être le spectateur d’un tel départ, pathétique, vers la folie et la tristesse.

 

Et voilà que je divague encore… Au moins cela écarte la douleur. Ma vision est totalement floue maintenant, plus question de distinguer quoi que ce soit dans ce brouillard rouge. Pas à cause de mon sang au moins. Enfin… pas seulement à cause du mien. Car, oui, je suis tueur, et mon vœu est sur le point d’être accompli. Les trois trolls qui habitaient la grotte j’emporte avec moi dans la mort, et je suis en paix, en paix avec le monde. Par ma mort mes fautes seront lavées, mes torts redressés, et j’atteindrais les halls de mes ancêtres où je pourrais boire avec mon gendre.

 

Drongi Thromninsson sera mort l’esprit clair et son honneur retrouvé.