Les Piliers

 

Le voyageur passa sous l’ombre du portique, et ses pas sur le sol aux dalles de grès gigantesques, fissurées et couvertes de sable, résonnèrent dans la grande salle, restée si longtemps silencieuse qu’ils y semblaient comme des coups de tonnerre lors des plus forts orages. La flamme tremblotante, presque timide à l’idée de déranger les ombres qui sommeillaient, endormies couchées sur l’endroit depuis des siècles, ne pouvait faire fuir les ténèbres qui dominaient partout où le regard pouvait porter, donnant à l’endroit l’impression qu’il n’admettait aucune fin ni murs. Seul un rai de lumière, perçant depuis l’ouverture du plafond qui parcourait la salle sur tout sa longueur depuis le portique jusqu’à l’autre porte qui lui faisait face, loin, loin derrière les innombrables rangées d’immenses piliers, éclairait le chemin qui le reliait entre les deux rangées de piliers qui le bordait, la lumière pourtant faible semblant si puissante dans l’endroit dominé par les ténèbres. Devant son regard émerveillé, il lui semblait que les piliers prenaient vie à sa venue alors qu’il s’avançait lentement, presque avec révérence, comme s’il voulait ne pas briser la quiétude religieuse du lieu. Les immenses fûts, si larges qu’il aurait fallu plus de six hommes aux bras écartés pour l’entourer complètement, s’élançaient depuis leurs bases carrées, autrefois décorées mais, depuis, dévorées, craquelées et fissurées par les assaut répétés et implacables du temps et du sable, tels des pins audacieux vers la céleste voute qu’était plafond, aussi haute que le firmament, portant sur leurs têtes les tant renommés chapiteaux en forme de feuilles de papyrus, dont la couleur, préservées du temps et du sables par les hauteurs, était aussi verte que si le peintre venait tout juste d’y déposer ses pigments. Les fûts eux-mêmes étaient une merveille pour les yeux, et il n’arrivait pas à s’en lasser. S’il était déplorable que beaucoup des piliers avaient dû courber l’échine face à l’action incessante du temps, et étaient désormais fissurés et très abimés par endroits, leurs faces craquelées et leurs beaux atours jetés à terre, brisés, et même si certains d’entre eux s’étaient effondrés et gisaient, tels de gigantesques cadavres, sur le sol, éclatés en mille morceaux, leur beauté avait survécu tout ce temps, attendant la venue d’un voyageur aventureux pour faire rejaillir leur majesté au grand jour, et il ne pouvait qu’admirer la vue qui s’offrait à lui. Pour ses yeux seuls se jouaient à nouveau devant lui les légendes d’antan de l’ancien empire, couchées par écrit sur les fûts, magnifiques fresques de hiéroglyphes gravés profondément dans la pierre, et les grands tableaux des dieux et des rois aux couleurs toujours vives et éclatantes se lançaient à nouveaux dans leurs batailles, héros victorieux, rois pacificateurs et princes aux fins tragiques. Toute cette histoire, elle l’attendait sur ces vieux murs, ces vieux piliers, et il n’était qu’à lui de se saisir de cet antique savoir, laissé là pendant des siècles sans personne pour le contempler. Il ne put s’empêcher de sourire tant il était heureux, et il tomba à genoux, pleurant des larmes de joie. Il n’en revenait pas. Il l’avait trouvé, enfin ! Le but de sa vie, le temple sacré, il y était enfin arrivé ! Il avait enfin atteint ses ambitions les plus profondes ! Il...

La flèche traversa la chair, déchirant peau et tissu, et s’enfonça profondément. Il s’effondra, la gorge transpercée, mort. Le garde squelette le regarda de ses orbites vies se vider de son sang au milieu de la pièce, son corps étendu, flasque, sur le dallage. Bientôt il ne resterait plus rien de l’intrus, si ce n’est quelques os qui seraient emportés par le sable, le véritable roi de ces lieux. Au bout d’un moment, il rangea son arc de sa main squelettique et s’en alla reprendre sa garde, et la flamme de la torche s’éteignit, laissant le cadavre seul au milieux de la forêt de piliers, son tombeau.