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Les Chroniques de l'Ambassadeur, le Cycle des Elfes, Chapitre 1, Version 1
 

Chapitre premier

 

Aramir attendait depuis déjà trois quarts d’heures sur le quai. Impatient, il tournait en rond, foulant le sol de ses bottes finement ouvragées, et prit finalement le temps d’observer ce qui se passait autour de lui. Le port de Lothern était décidemment bien plein aujourd’hui. Elfes et marins  étrangers couraient en tous sens, portant telles denrées dans les bateaux, sortant des paquets et échangeant monnaie sonnante et trébuchante. Du coin de l’œil, il observa un marin de Cathay courir sur la grève après un vaisseau qui devait sûrement être le sien. Pourquoi était-il partit sans lui, c’était un mystère, mais toujours était-il que la situation fit se lever les commissures de lèvres de l’ambassadeur elfique. Puis il porta son regard sur les autres bateaux amarrés, et ce simple fait lui rappela le déclin de sa race : en effet, il y avait deux fois plus de bateau étrangers que de bateaux elfiques… Vraiment, pensa Aramir, nous vivons une sombre époque, et pas seulement pour nous : l’Empire était rongé jusqu’en son centre par les cultistes, les Nains dans leurs montagnes croulaient sous les trésors, mais encore plus sous les Peaux-Vertes et les Skavens qui les assaillaient de toute part, et ne parlons pas du reste. Comme par réflexe, son regard se dirigea vers le soleil couchant dans le lointain, lui donnant une attitude des plus nostalgiques qui soient. Attitude qu’il ne garda pas longtemps car, avec le soleil couchant, il réalisa qu’une demi-heure de plus venait de filer.

Mais que faisaient-ils ? Se demanda l’Elfe, puis il vit un nuage de fumée s’élever au loin, bientôt suivi par une tache sur l’horizon, tache qui se mit à grossir pour finalement se transformer en un de ce que ces pauvres ignares osaient appeler « bateau », fussent-t-ils à vapeur ou non. Presque aussitôt, le vacarme des machineries tant renommées, et aussi redoutées se mit à remplir le port et tous les yeux présents se tournèrent vers la source du bruit. Si les humains retournèrent vite à leurs occupations, les Hauts-Elfes furent plus long à détacher leurs regards du navire, certains portants même leurs mains à leurs ceintures où pendaient poignard et autres armes. Et oui, on était jamais sûr des intentions des étrangers, alors les Elfes préféraient éviter les risques inutiles, bien qu’il soit peu concevable que même le plus arriérés des humains ose s’attaquer à un Elfe à l’intérieur même des terres du fier peuple Asur. Se détachant de ces pensées peu positives, Aramir se concentra sur le vaisseau nain. Il avance sacrément vite, se dit l’ambassadeur à lui-même, et pourtant il n’a ni rames ni voiles et son poids doit être très lourd… surtout avec des nains dessus, ajouta-t-il avec un sourire qu’il ne réfréna pas. Mais il devait bel et bien constater que les nains possédaient une maîtrise de la technologie fascinante.

S’arrêtant au beau milieu du port, le navire ouvrit une de ses nombreuses ouvertures, et de cette porte sortit une embarcation portée par une grue mécanique qui déposa la barque, encore qu’une embarcation de cette taille puisse difficilement s’appeler barque, et avec la barque l’équipage de celle-ci. Puis le bras mécanique disparu aussi vite qu’il était venu et le vaisseau nain fit demi-tour et finit lui aussi par disparaître après avoir tourné à quelques encablures du port. Pendant ce temps, l’équipage de la barge, oui, c’était le bon mot, ce dit Aramir, s’affaira et l’embarcation sembla s’avancer sans qu’aucun des nains aient sortit une rame.

Voyant que la barge s’engageait vers le quai où il attendait, Aramir se prépara. Il se tint droit et prit une grande inspiration et, soudain, on eut dit que son visage était de marbre. Pendant ce temps, les nains avaient amarré leur embarcation et commençaient à débarquer. Ce fut à ce moment qu’il put discerner avec précision les visages des Nains et il observa ce qui semblait correspondre au chef des petits barbus. Il était grand pour un Nain, dominant tous les autres d’une tête, possédait une barbe rousse et soigneusement tressée et portait une hache où semblaient crépiter des éclairs d’énergie pure… Bon sang, ce dit l’ambassadeur, c’est lui ! Et son visage passa successivement de la surprise à la joie et l’Elfe s’avança vers la troupe, maintenant débarquée au complet.


Gromdal aida Kurgan à monter sur le quai et observa le port. Il grouillait d’Elfes, comme il s’y était attendu, mais aussi d’humains. Étrange, pensa le Nain, et d’autant plus étrange que ces étrangers soient plus nombreux que les Elfes… Puis il vit qu’une silhouette élancée s’avançait vers lui. Leur ambassadeur, sans doute, encore un de ses aristocrates qui se croient au-dessus de tout… Enfin bon, il fallait bien que quelqu’un finisse ce que j’avais commencé, quitte à ce que ce soit moi, pensa-t-il… Puis son visage ce couvrit d’un immense sourire lorsqu’il reconnut l’envoyé. Bien qu’il ait l’air plus en forme et surtout moins maigre et moins … blessé que la dernière fois qu’ils s’étaient croisés, il était toujours reconnaissable grâce ses cheveux blonds et ses yeux verts ainsi que sa démarche typique. En effet il était toujours légèrement penché en avant, les jambes fléchies et les muscles de ses bras étaient tendus, comme s’il s’attendait à être attaqué à n’importe quel moment. La guerre laissait bel et bien des marques plus endurantes que les cicatrices, pensa Gromdal. Puis il s’avança à la rencontre de son ami qu’il enlaça chaleureusement.

— Alors, vieux camarade, comment vas-tu après toutes ces années ? demanda-t-il à Aramir après l’avoir relâché.

— Très bien, mais je suis surpris que tu sois venu, j’imaginais que tu serais encore parti vagabonder en dehors de ta forteresse au moment du départ…

— Oui, et tu n’étais pas le seul, j’étais censé aller à Karaz-a-Karak avec des vieux amis de Karak Azul, mais, lors d’une Grobkul, je me suis cassé la jambe et celui qui aurait dut venir à ma place a été tué. En raison de ma blessure, mon voyage vers notre capitale a été annulé, mais mon roi a décidé que j’aurais le temps de guérir lors du voyage en bateau vers Ulthuan, alors je suis parti.

— Eh bien, je ne regrette pas du tout cet imprévu, répondit Aramir avec un grand sourire.

— Moi non plus !

— Bon, si nous commencions par une visite de la ville, continua Aramir, puis nous aurons ensuite le temps de nous restaurer avant de faire les présentations. Qu’en dis-tu ?

— Ma foi, répondit Gromdal, je n’y vois aucun inconvénient. Alors allons-y !

Puis il annonça quelque chose en Khazalid à ces compagnons que l’Elfe, d’après son expression, ne comprit pas. Aussitôt, les nains soulevèrent leurs bagages et leurs armes. Aramir vit que leurs visages étaient tendus et que leurs yeux observaient scrupuleusement aussi bien que suspicieusement les alentours. Remarquant l’étonnement de son ami, Gromdal expliqua :

— Excuse mes hommes, ils sont légèrement … tendus. Si tu savais les préjugés qui courent sur les Elfes dans le Karaz Ankor … Enfin bon, disons qu’ils n’ont pas eu la chance de rencontrer quelqu’un comme toi avant d’entrer en Ulthuan.

— Je vois, répondit Aramir en hochant de la tête, je pense que si je guidais une délégation de mes compatriotes jusqu’à Karak Grom, ils agiraient de la même façon. Mais suis-moi, c’est par ici. Ajouta-t-il en montrant le chemin aux nains

Et ils laissèrent le port derrière eux.

 

Cependant, aussi vigilant qu’ils fussent, les nains avaient échoués à remarquer le seul détail qui aurait pu être digne de leur attention, car, tapie dans l’ombre, une silhouette les observait silencieusement. Puis, lorsque la troupe fut partie, l’ombre quitta son poste et partit dans le dédale de rues qui constituait la périphérie de Lothern. Arrivée à une maison qui ne se détachait en rien de ses voisines, le mystérieux personnage s’arrêta, vérifia qu’il n’était pas suivi et toqua à la porte. Il effectua une série de coups apparemment sans importance et sans rythmes particuliers et la porte s’ouvrit sur un vestibule non éclairé. Il était vide. Avec assurance, l’espion s’avança et dépassa un grand nombre de portes et s’arrêta devant une d’elles, qui ne se détachait pourtant en rien par rapport aux autres, et entra. La pièce était peu large, mais très longue. Une seule bougie, posée sur la longue table qui remplissait à elle seule la pièce, éclairait d’une faible lumière blafarde et dansante l’endroit. Au fond de la salle, on devinait une silhouette sur une chaise, tout au bout de la table. Toute la partie supérieure de son torse était plongée dans les ténèbres et par conséquent, invisible. La silhouette bougea sur sa chaise à l’arrivée de l’espion et lui demanda, d’un mot :

— Alors ?

— C’est fait, maître, ils sont arrivés et ils ont été reçus.

— Bien, faites ce qui a été prévu et assurez-vous que le plan se déroule sans anicroches.

— Tout sera fait selon vos ordres, maître.

Et, sur ces mystérieuses paroles, l’espion partit, laissant l’ombre seule avec ses sombres pensées.

 

* * *

 

— Donc,  comme vous pouvez le constater, la périphérie de la ville est principalement réservée aux voyageurs et aux marchands.

Aramir fit un tour sur lui-même pour vérifier qu’il n’avait perdu aucun Nain et indiqua une rue au groupe.

— Nous allons entrer dans la ville elle-même, là où logent les Elfes habitant Lothern.

— Me voilà rassuré, dit un des Nains (ils n’avaient pas encore fait les présentations) : avec tous ces humains, je me demandais si nous étions vraiment en terre elfique !

Et il éclata de rire, suivi par quelques un de ses camarades. Mais leurs rires s’étranglèrent dans leurs gorges lorsqu’ils croisèrent le regard de Gromdal. Il a vraiment de l’autorité, se dit l’Elfe, cela pourra s’avérer utile si jamais ils croisaient des … inconvénients. Puis cette pensée le quitta et il continua la visite de la ville. Plus ils s’enfonçaient vers le centre de la cité, plus les gens qu’ils croisaient les regardaient avec circonspection, les sourcils froncés et les mains sur leurs armes. Nous aurions dû les prévenir, pensa Aramir, et non garder l’arrivée des Nains seulement connue des hautes sphères de la ville et d’Ulthuan. Cependant, il continua à mener la troupe à travers la ville sans tenir compte des regards que lui lançaient les Hauts-Elfes et encore moins des remarques sarcastiques de certains des Nains, que Gromdal s’efforçait pourtant d’empêcher. Finalement, cette visite aura été plus utile à moi qu’aux Nains, j’aurai pu cerner ceux fréquentables et ceux qui étaient moins … volontaires.

Ils approchaient déjà des quartiers riches. Un sourire fatigué apparu sur le visage de l’ambassadeur : au moins, ils n’auront pas eu l’occasion de placer quelque remarque que ce soit ! Pensa-t-il. Bon, concentrons-nous sur nos amis barbus.

— Vous allez accéder aux quartiers plus riches, dit-il en montrant les bâtiments non loin, beaucoup plus ornementés et aussi plus grands que leurs homologues des quartiers « classiques ». Notre destination finale est, comme vous le savez, le palais de notre grand Roi, où vous allez être gracieusement logés…

— Mouais, c’est juste parce que vous pourrez mieux nous surveiller, marmonna le même Nain qui avait fait la plupart des remarques désagréables.

Mais Aramir l’ignora et laissa à son ami la tâche de réprimander l’importun.

— Donc, comme je le disais, vous allez être logés dans le palais. C’est un grand honneur que vous fait le Roi en vous logeant si près de lui, mais aussi un gage de confiance dont il serait appréciable qu’il soit réciproque (Aramir appuya bien le mot). Nous avons d’ailleurs quelques tonneaux de bière naine que, j’en suis sûr, vous saurez apprécier plus que nous. Si mes souvenirs sont bons, c’est de la Bugman.

À ces mots, tous les regards se tournèrent vers lui. Même le Nain habituel en oublia de sortir une des remarques sarcastiques dont il avait le secret. À la place, il s’exclama :

— Eh bien, qu’attendons-nous ! Finissons cette visite au plus vite et montrez-nous notre résidence ! Vous en étiez à présenter les quartiers riches.

Aramir s’empêcha à grand peine de sourire. Les Nains sont incorrigibles ! Se dit-il. Et il continua la visite que se déroula, ô surprise, sans la moindre petite remarque ou protestation des Nains, qui semblaient maintenant très attentifs à ses paroles. Finalement, peut-être que cette visite sera vraiment sympathique… Et ils continuèrent leur avancée dans la ville.

 

* * *

 

Il était en train d’expliquer aux Nains l’histoire d’un des nombreux manoirs de Lothern lorsqu’il aperçut un vague forme s’avancer, semblait-il, droit vers eux. Au début, il n’y prêta aucune attention et continua ses explications, mais, voyant que la silhouette n’avait toujours pas changé de direction, il la regarda plus attentivement. Il eut un aperçu d’une cape bleue richement brodée sur ses bords de runes dorées, d’un casque d’or finement ornementé d’argent avec un panache bleu, d’une armure recouverte d’or, et, en dernier, de cheveux châtains. Cela lui suffit à reconnaître le nouvel arrivant. Son visage se tordit en une expression de dégout prononcé. Gromdal, remarquant l’expression de son ami, demanda :

— Quelque chose ne va pas, Aramir ?

— En effet, répondit l’interpellé, voici un incident … Tâche de bien tenir tes Nains, parce que ça risque d’être … dur.

— Ah.

Le temps qu’ils échangent ses propos, le Noble s’était approché et était à présent à portée de voix.

— Eh bien, lança l’inconnu, je vois que vous êtes en retard, je vous ai attendu pendant plus d’une heure au palais, puis je me suis dit que je ferais bien de voir si vous aviez rencontré, ou causé (il plissa les yeux) quelques problèmes…

Avant qu’il ne puisse continuer, Aramir prit, non sans un soupir, la parole :

— Gromdal, et les autres, je vous présente Braïch’il, le capitaine des Gardes Maritimes de Lothern. Braïch’il, je te présente Gromdal, ambassadeur des nains et Thane de Karak Grom

— J’aurais pu me présenter moi-même, Aramir l’Ambassadeur, dit Braïch’il avec dédain.

Puis, se tournant vers Gromdal, toujours avec dédain :

— Alors voici les fameux Nains tant attendus… Je pensais que vous arriveriez à l’heure, stricts que vous êtes sur la parole donnée.

— Nous l’aurions été, répondit Gromdal sans se décontenancer, si vos Gardes ne nous avaient pas bloqués à l’entrée du port pour bien vérifier nos laissez-passer, inspecter nos cales et fouiller notre équipage ! En fait, c’est plutôt grâce à vous que nous sommes arrivés plus tard que prévu, alors il me parait quelque peu déplacé que vous vous plaignez de notre manque apparent de ponctualité.

Il avait répondu avec un ton si semblable à celui du Capitaine, qu’on eut dit un Elfe, ne serait que pour sa voix. Derrière le Thane, un nain laissa échapper un rire ; qui se rapprochait plus du bruit d’un éboulis que d’un rire, d’ailleurs, même Aramir peina à refreiner un sourire. Braïch’il eut un mouvement de recul et parut, un instant, surpris, mais l’expression fut très vite remplacée par un visage indifférent.

— Humm, dit le Capitaine en se retournant vivement vers Aramir, je dois également vous apporter un message de la part du Haut Conseiller : vous devez installer les nab… humm… les Nains dans leurs appartements et leur expliquer comment se passera leur séjour ainsi que les us et coutumes de la cour. (Il haussa la voix) Il serait en effet déplorable qu’ils offensent notre bon Roi et en soient punis, n’est-ce pas ?

Mais il n’attendit pas de réponse et continua :

— Bon, qu’est-ce que vous attendez ? Qu’Ulthuan coule ? Suivez-moi, je vous guiderai au palais, puis je vous laisserai, malheureusement (même s’il n’avait l’air aucunement désolé), entre les mains d’Aramir pour qu’il vous présente notre magnifique société et son fonctionnement. Et dites-vous qu’il est exceptionnel que vous soyez reçus par notre Roi, car, s’il n’en tenait qu’aux habitants d’Ulthuan, ou du moins, sa majorité (disant cela, il regardait Aramir), vous n’auriez jamais mis les pieds ici…

Et ils partirent donc en direction du palais. Et, semblait-il, personne n’avait prêté attention à leur conversation. En apparence seulement, car, derrière le manoir où s’était joué la scène, caché par les fines moulures d’une poutre, une ombre avait tout écouté. Après avoir bien vérifié que la troupe était partie, elle prit la direction de la périphérie et s’engagea dans une ruelle. Elle s’arrêta devant une des maisons et frappa, en une série complexe de petits coups, à la porte, qui s’ouvrit sans que personne ne se trouva derrière. L’espion s’engagea dans la maison, ouvrit une porte qui donnait sur un long corridor avec encore plus de portes sur ses deux côtés et s’avança. Il s’arrêta devant une porte en entra. Il arriva alors dans une longue pièce garnie uniquement d’une table qui occupait presque tout l’espace. Sur cette table, sur le bout faisant face à l’Elfe, brûlait une bougie qui éclairait d’une faible lueur le bout en question. Et, à l’autre bout, ombre parmi les ombres, car ce côté n’était pas éclairé, siégeait une silhouette indiscernable, qui posa cette question laconique et inchangée :

— Alors ?

— Ils ont rencontré le capitaine.

— Et ?

— Ils sauront ce soir l’heure.

— Bien, arrangez-vous pour la connaître et faites-la parvenir à moi.

— Oui, maître.

Et il partit.

 

* * *

 

Ils arrivèrent au palais peu avant le coucher du soleil. Braïch’il se retourna vers le reste de la troupe,  car c’était lui qui l’avait guidée à partir de l’enceinte. Il s’adressa à tous en disant :

— Bon, vous m’excuserez mais je dois vous quitter car d’autres affaires d’importance m’appellent.

Soudainement, un sourire apparu sur le visage d’Aramir. Si le Capitaine l’avait remarqué, il ne le montra pas.

— Ça a tout de même été un plaisir de vous rencontrer, ajouta-t-il même si il n’avait l’air nullement heureux. Au revoir et, peut-être à bientôt !

Et il partit. Dès que Braïch’il fut hors de portée de voix, Gromdal ajouta :

— Eh bien, personne ici ne l’espère…

Il fut approuvé par des hochements de tête de la part de tout le monde, Aramir compris. Celui-ci prit alors la parole :

— Allons, il est temps de vous reposer après cette dure journée, mais aussi,  après ce long voyage vers Ulthuan. Je vais vous montrer l’aile qui vous a été réservée. Suivez-moi.

Il les guida à travers de nombreux corridors et ils arrivèrent finalement devant une grande porte ouvragée et sertie de gemmes rutilantes.

— Voici donc vos quartiers, leur dit Aramir en ouvrant la porte, et chose promise chose due, voici les tonneaux de bière généreusement offert par notre Roi !

Comme pour appuyer ses propos, la salle sur laquelle donnait la porte s’illumina lorsque des globes encastrés dans les murs se mirent à briller d’une douce lumière blanche, révélant au centre de la salle des chaises, une table, et à côté de la table deux énormes tonneaux en bois cerclé de fer et gravés de runes attestant la provenance du breuvage tant aimé des nains. Aussitôt, la troupe ordonnée de Nains fiers et droits se transforma une bande de sauvages qui avaient l’air si assoiffés qu’on aurait pu croire qu’ils venaient de traverser Nehekhara en courant avec des scorpions aux trousses.

Aramir attendit un instant que les Nains se calment. Puis, lorsque tous furent assis avec chacun une (voire deux pour certains) chope remplie de bière à ras bord, il prit la parole :

— Vous êtes ici dans vos quartiers et libres d’y faire ce qu’il vous plaira. Cependant, si vous voulez sortir vous devrez soit déposer vos armes si vous désirez entrer dans le palais proprement dit, soit vous faire accompagner  par un garde si vous avez envie d’aller autre part. Je tiens à ajouter que ce ne sont que des règles mises en place pour la sécurité de tous. Toutefois, si vous vous montrez vraiment … humm … sages aux yeux du Roi, alors là vous serez libres de faire ce que bon vous semblera dans n’importe quel endroit. Sauf à la cour de Finubar, évidemment.

Et, avant que les autres ne puissent émettre des protestations (il devinait qu’il devait y en avoir, d’après les têtes que faisaient ses interlocuteurs), il ajouta :

— Alors, la bière est bonne ?

Ceci eut l’effet de faire oublier aux Nains de se plaindre, car tous sourirent et hochèrent la tête avec des louanges à Finubar pour leur avoir offert ces tonneaux.

— Bon, et si nous passions aux présentations, que je puisse mieux vous connaître et aussi que l’on sache qui annoncer au Roi. Je connais déjà Gromdal, mais vous autres…

Aussitôt, le Nain qui avait fait tant de remarques désagréables se leva :

— Je suis Bramdal Marteau de Fer, gardien des portes de Karak Azul.

Puis, un autre se leva, il était jeune et fier :

— Drokar Ongrimsson, apprenti aux forges de Zhufbar.

Ensuite, un autre jeune se leva, bien que presque encore une Barbichette, on sentait qu’il inspirait le respect aux autres :

— Kurgan Godrison, Thane et fils héritier du trône de Karak Grom.

Aramir haussa presque imperceptiblement un sourcil. Le fils du roi de la forteresse de Gromdal ? Étrange. Puis ce fut le tour d’un autre.

Et ils continuèrent ainsi une bonne partie de la soirée, puis Aramir prit congé d’eux et partit vers sa résidence, mais il leur rappela de bien se préparer pour leur rencontre avec Finubar prévue le lendemain après-midi. Il faisait alors nuit noire : en effet, de gros nuages cachaient les étoiles et les lunes des habitants de Lothern. Bramdal et Orund, un vieux Maître du Savoir de Karak Hirn, allèrent observer la ville, illuminée de mille feux et cristaux brillants comme ceux qui garnissait la pièce centrale de leurs quartiers.

— Eh bien, dit Bramdal, je me demande dans quelle aventure je me suis fourré…

— Bah, je suis sûr qu’on s’habituera à côtoyer des Elgi, c’est pour ça que nous sommes tous venu. répliqua Orund.

— Pas moi, Orund, pas moi.

— Mais, demanda le Longue Barbe, pourquoi es-tu venu, alors ?

— Dette d’honneur envers mon Thane, voilà tout.

Disant cela, il fronça les sourcils comme s’il s’était replongé dans des souvenirs qu’il aurait mieux valu laisser dans l’oubli. Il tourna le dos à son ainé et s’accouda à la balustrade. Il était évident qu’il n’était plus disposé à parler. Quelque peu étonné, Orund laissa Bramdal à ses sombres pensées et s’apprêtait à rentrer lorsqu’il crut voir une ombre bouger dans le jardin en contrebas, mais, quand il se pencha par-dessus la balustrade pour y voir de plus près, il n’y avait plus rien. Et, finalement, il partit pour de bon,  grommelant sur les problèmes de vue dus au grand âge.

Seul à présent, Bramdal se concentra sur les bruits venant du jardin pour essayer de se calmer. Tout était silencieux, à part quelques oiseaux chantant à la lune, comme si ils la suppliaient d’apparaître à travers les nuages. Si seulement il n’était pas venu ! Bah, de toute façon, il n’avait pas eu le choix. Mais si cet assassin Skaven n’avait pas pointé le bout de son sale museau pour tuer la moitié de ses hommes et le fils de son Thane, il n’en serait pas là… Si seulement j’avais été plus attentif, tiens ? En parlant d’attention, les oiseaux se sont tus… Étrange. Il écouta alors, pour voir si s’était quelque chose, ou quelqu’un, qui avait dérangé les oiseaux ou si ceux-ci étaient partis de leur plein gré.

Au début, rien ne se passa, puis il entendit le bruit du frottement d’un tissu. Puis plus rien. J’ai rêvé, se dit-il. Et il repartit dans ses pensées où il ne serait, ô joie, pas parti vers cette ville pleine d’ « oreilles pointues ». Puis le son se reproduisit, et encore une fois, puis une quatrième… Méfiant, Bramdal se pencha sur un côté. Rien. Ah ! Si, il aperçut un mouvement en-dessous même du balcon. Une corde ? Quelqu’un est monté, mais ou-est-il ?

Et il reçut un grand coup sur le crâne et perdit connaissance.

 

 

 

* * *

 

L’absence de Bramdal ne fut remarquée par aucun des Nains, tous étant occupés à ronfler, affalés sur la table ou sur leurs lits. Les autres, comme Orund, pensaient qu’il reviendrait plus tard, lorsqu’il aurait terminé de ressasser ses mauvais souvenirs.

Et ainsi, tous les Nains finirent par se coucher pour une bonne nuit de sommeil réparateur, plus que nécessaire pour affronter la journée de demain. Cependant, après une heure d’attente dans un faux sommeil, Gromdal se releva, et, discrètement, se saisit d’un petit coffre de fer caché dans ses bagages. La boîte, de dimensions modestes, était carrée et peu épaisse. Sa plus grande particularité était de ne présenter aucune serrure et de n’avoir pour seul ornement qu’un rond métallique gravé d’une seule et unique rune, seule preuve de la provenance du coffret.

Gromdal passa dans la salle principale, posa le coffret sur la table et s’y assit. Puis, fourrageant dans sa barbe, sortit un collier d’or au bout duquel pendait un pendentif. Celui-ci était rond et portait une rune semblable à celle du coffre. En fait, la seule différence était qu’elle était la réplique inversée de celle-ci. Le Thane détacha le pendentif et le posa sur sa réplique encastrée au coffret. Aussitôt, un déclic se fit entendre, et Gromdal ouvrit le coffre, non sans avoir repris son pendentif. De la boîte, il sorti délicatement un carré de pierre noire peu épais, aux dimensions semblables à son conteneur. Il était cerclé d’une bande d’or gravée de nombreuses et complexes runes, dont la plupart échappaient à la compréhension de Gromdal. Ses deux côtés étaient bien distinct : l’un était brut, comme extirpé de la montagne et laissé là sans entretien, alors que l’autre avait été minutieusement poli, et la lumière s’y reflétait comme sur une eau calme et sans ride. Gromdal posa la tablette avec douceur, comme si elle allait se briser à tout instant, la face brute contre la table, de sorte qu’il faisait face au côté poli. Alors, le Nain reprit se pendentif et le porta entre lui et la pierre, puis il souffla dessus, et la rune dont le pendentif était décoré se mit à rougeoyer de plus en plus fortement, et les runes couvrant le bord de la pierre se mirent à luire en réponse.

Après un court laps de temps, la rune du pendentif brilla de moins en moins, et, lorsqu’elle cessa de luire, Gromdal la rattacha à son collier qu’il rangea dans la barbe, et le Nain se reconcentra sur la tablette, dont les runes commençaient elles aussi à s’éteindre. Gromdal attendit, et, après l’extinction de l’ensemble des runes, la surface de la pierre sembla onduler comme une eau troublée, avant de retrouver sa solidité apparente. À une exception près : elle avait cessé de refléter la lumière. Alors, émergeant des ténèbres, se dessina une pièce aux murs nus avec une table garnie d’une chaise en son centre. Une petite enclume et un marteau siégeaient dans un coin de la salle, et Gromdal aperçu un foyer éteint. De l’autre côté se trouvait un impressionnant râtelier d’armes avec également quelques talismans qui pendaient dessus et même une armure qui était soigneusement posée sur un deuxième siège, à côté du râtelier. Ce qui attirait l’attention de Gromdal était le vieux Nain à la longue barbe blanche qui dormait assis sur la chaise et affalé sur la table. Le Thane l’appela :

— Hé Snorri ! Réveille-toi, c’est Gromdal !

Mais il n’y eu aucune réaction chez le Nain, mis à part un ronflement puissant. Par trois fois, Gromdal l’appela, et cela de plus en plus fort, sans résultat. Alors, il dit calmement :

— Hé Snorri, la bière d’hiver est arrivée !

La bière d’hiver, fameuse cuvée de Karak Grom, était ce dont Snorri était le plus friand, et, aussitôt, il se réveilla en sursaut en criant :

— Quoi ? Où ça !

Souriant, Gromdal l’appela. Le vieux Maître des Runes le remarqua alors, et, après une expression fugace de déception, la joie apparu sur son visage.

— Ah, c’est toi ! Le vieux Brunkni n’est donc pas aussi fou qu’on le prétend, alors. Mais dis-moi, comment ça se passe par là-bas, chez les Elgi ?

— J’avais imaginé pire, mais ça pourrait être mieux, répondit Gromdal. En fait, la plupart d’entre eux sont hostiles quant à notre idée d’ambassade. (Gromdal soupira, puis se repris) Mais à part ça, tout va bien : nous avons visité la ville et le palais et nous rencontrerons le Roi demain. Par ailleurs, j’ai du mal à l’admettre, mais ils ont un bon sens de l’architecture, les Elgi. Pour des na-dawi1, évidemment. Et la meilleure surprise a été de découvrir Aramir comme ambassadeur et guide !

— Ah, dit Snorri sans enthousiasme, l’anormal. Enfin, si ça te fait plaisir. (il bailla) Bon, si ça ne te dérange pas et si tu n’as plus rien à dire, alors je retourne me coucher. Il fait nuit noire par ici.

— Bon, et bien à plus tard, alors. Prochain rendez-vous dans deux jours, sauf cas de force majeure.

— Entendu, termina le vieux Nain.

Sur ce, le Maître des Runes passa la main devant la pierre en marmonnant quelque formule runique connue de lui seul, et l’image disparu, puis la surface redevint pierre.  Gromdal rangea alors la tablette inerte dans sa boîte, qu’il reposa au fond de ses bagages avant de retourner se coucher, cette fois pour de bon.

 

 * * *

 

Lorsque Bramdal reprit connaissance, il était allongé sur le dos et avait l’impression qu’un Gobelin avait joué du tambour sur son crâne tant il avait mal à la tête. En voulant se lever, il se rendit compte qu’il était enchaîné au niveau des chevilles et des poignets, il commença à paniquer et tira sur ses chaînes comme un forcené. Puis, il vit un pâle filet de lumière et constata que sa vue lui revenait. Enfin un bonne nouvelle, pensa-t-il. En partie rassuré, il se calma et attendit de pouvoir distinguer son environnement.

Il se trouvait dans une petite pièce aux murs nus, avec une seule porte, garnie d’un judas, en face de lui. Bien évidemment, les chaînes étaient trop courtes pour qu’il puisse l’atteindre. Par ailleurs, ces chaînes étaient composées de solides anneaux très épais, qui étaient accrochés au mur par d’énormes clous, sans doute profondément enfoncés dans le mur. Aucun espoir de s’échapper, constata amèrement le nain, condamné à pourrir dans une cellule dans un lieu inconnu et perdu là où on ne me retrouvera jamais. Vraiment, une belle mort. Sorti de ses sombres pensées, Bramdal se reconcentra sur ses possibilités d’évasion. On ne lui avait pas retiré sa ceinture. Ce qui fit sourire le Nain, car de dessous la boucle, il sorti une toute petite lame. Elle lui avait déjà grandement servi le martelier, lorsque ses ennemis voyaient qu’il avait perdu son marteau et se retrouvaient avec les deux pouces de la lame à travers la gorge… Mais là, elle allait servir à tout autre chose : crocheter la serrure de ses chaînes. Il inspecta donc ses poignets pour en trouver au moins une, et son couteau lui glissa des mains tant il fut surpris, et désespéré : il n’y avait pas l’ombre d’une serrure sur les anneaux qui lui enserraient les poignets et les chevilles. En fait, ce n’étaient guère plus que des répliques agrandies des anneaux qui constituaient les chaines. De la magie, pensa-t-il, damnés soient ces Elgi ! Abattu, il se laissait tomber par terre, le dos le long du mur.

Il ne lui restait plus qu’une dernière solution : il appela à l’aide.

Et seul son écho lui répondit.

Alors il attendit, finit par s’assoupir et perdre toute notion du temps. Après un certain temps et un sommeil troublé et en aucun cas reposant, il fut réveillé. En tendant l’oreille, il identifia un bruit de pas, qui se rapprochait, puis qui s’arrêta. Le judas s’ouvrit alors pour révéler un œil sombre et inquisiteur, qui scruta intensément le Nain, indifférent aux supplications de celui-ci. Sûrement satisfait de ce qu’il avait vu, le nouveau venu reparti,  laissant le Nain seul avec son désespoir.

 

* * *

 

Après plusieurs heures, ou du moins Bramdal le pensait-il car il n’avait aucun repère temporel, le nain était toujours enfermé dans sa cellule. Il avait abandonné tout espoir d’évasion : tant qu’il resterait ici, il ne pourrait sortir, il ne pouvait qu’attendre, mais attendre quoi ? Qu’il meure de faim, de soif ou qu’on l’exécute ? Le mystère restait entier… mais il allait avoir quelques réponses. En effet, un claquement de porte suivi d’un bruit de pas se rapprochant se fit entendre. Bramdal releva la tête, un semblant d’espoir dans les yeux. Alors, le judas s’ouvrit, laissant apercevoir l’œil noir de tout à l’heure, puis la porte s’ouvrit, et, un instant, Bramdal fut ébloui. Mais ses yeux de nain s’adaptèrent très vite et il put apercevoir, posté dans l’encadrement de la porte, un gigantesque elfe aux muscles saillants. Vêtu de noir, aux cheveux et aux yeux noirs, on aurait pu le confondre avec un de ces terribles Dieux du folklore elfique. Ou avec un Elfe Noir. Oui, c’est cela, pensa le nain, un Elfe Noir, ils ont dû m’enlever pour je ne sais quelle raison. Bramdal ouvrit la bouche pour parler, mais il fut coupé court par le geôlier que prononça un mot en langage elfique dont le nain ne saisit pas le sens. Aussitôt, les chaînes se détachèrent du mur et s’enroulèrent autour de ses chevilles et de ses poignets. Il se retrouva           alors avec les bras immobilisés derrière son dos et ses chevilles attachées entre elles par une courte longueur de chaîne, de sorte qu’il ne pouvait que marcher, et encore avec difficulté.

Ainsi elles étaient bel et bien magiques. Il faut avouer que celui qui les a créées était un maître dans l’art. Pensa le nain, puis il ajouta comme arrière-pensée : pour un non-nain, bien sûr. Il allait de nouveau tenter de questionner son tortionnaire, mais celui-ci leva la main et dit simplement :

— Avance.

  Comme le nain, interdit, n’esquissait aucun mouvement, l’elfe sorti de derrière son dos un fouet à la pointe barbelée qui claqua dans l’espace confiné. Bramdal nota que celui-ci avait laissé une longue entaille dans le mur.

— La prochaine fois, c’est toi que je viserai, dit l’elfe. Maintenant, avance.

Cette fois, le nain ne se fit pas prier et sortit aussi vite que ses chaînes le lui permettaient. Il arriva alors dans un long corridor qui ne ressemblait en rien à sa cellule : il était long, les murs étaient peints et garnis de décorations elfiques, une douce moquette s’étalait sur le sol et sur le plafond vouté  s’étendaient des fresques de la mythologie elfique. Une douce lumière tamisée provenait de nombreux globes lumineux accrochés au-dessus des portes, tout aussi nombreuses, qui apparaissaient dans les murs. Bramdal remarqua qu’elles étaient toutes identiques, mis à part quelques détails. On dirait presque un manoir elfique, pensa-t-il. Peut-être que c’en est un. Au fond, que pourrait-il m’arriver de plus étrange ?

Il n’allait pas tarder à recevoir une réponse à sa question, car l’elfe le poussa dans le couloir, puis, lorsqu’il eurent passé un grand nombre de portes, s’arrêta et le fit s’avancer dans une pièce. Comme la seule source de lumière était un foyer, dont les braises rougeoyaient faiblement, placé au centre de la pièce, les extrémités de celle-ci étaient plongées dans l’obscurité, de sorte que les murs n’étaient pas visibles. En fait, les seules choses que Bramdal pouvait distinguer étaient une chaise, une table et un poteau disposés de part et d’autre de l’âtre. L’Elfe le poussa à l’intérieur et le fit s’asseoir sur la chaise avant de prononcer un mot de pouvoir en langage elfique. Aussitôt les chaînes s’enroulèrent autour des pieds et des bras du siège et s’y accrochèrent fermement, de façon à ce que Bramdal ne puisse plus bouger autre chose que la tête. Voyant que le nain était bien accroché, l’elfe parti en fermant la porte derrière lui, laissant Bramdal seul dans l’obscurité.

Il revint au bout d’un moment, mais, cette fois, il n’était pas seul. En effet, un deuxième elfe l’accompagnait. Dans la semi-obscurité, Bramdal ne pouvait pas distinguer grand-chose, mais il remarqua que le nouveau venu était encapuchonné de façon à ce que la partie supérieure de son visage reste invisible.

Tous deux s’approchèrent, le geôlier se plaçant derrière la chaise, alors que son compagnon s’arrêta devant le nain.

— Vous savez qui nous sommes, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

— Des Elfes Noirs ? proposa faiblement le nain

— Exact. Nous sommes des espions à la solde du Roi Sorcier.

— Mais… que voulez-vous de moi ?

— Patience, mon ami, j’y viens. Donc, je disais que nous servions le Roi Sorcier. Or, celui-ci a entendu que vos deux pitoyables races voulaient de nouveau s‘allier. C’est exact ?

Comme le nain ne répondait pas, l’elfe le gifla violemment.

— Je répète : c’est exact ?

Et Bramdal, interdit, hocha la tête.

— Bien, repris l’elfe, mais ça, nous étions au courant. Tout ce que mon Maître  veut savoir, c’est l’heure et le jour de votre rendez-vous avec Finubar le Faible.

— Vous n’êtes pas au courant ? croassa Bramdal.

Il fut giflé de nouveau.

— J’ai dit, l’heure et la date ! s’exclama l’elfe. Et non, nous ne le savons pas, dit-il comme à lui-même. Ce pitoyable roi a pris soin de réserver cette information à quelques privilégiés seulement. Pour éviter des troubles inutiles, j’imagine. Peuh !

Puis il sortit de ses pensées et se retourna vers le nain.

— Bon ! J’attends ! Quelle heure, quelle date !

— Bah ! De toute façon, qu’est-ce que ça peut vous faire, à vous et votre planqué de seigneur ? s’exclama Bramdal avec mépris.

Troisième gifle.

— N’insulte pas le Roi Sorcier ! Nous voulons simplement recommencer une Guerre de la Barbe… Dans tous les cas, Ulthuan sera à notre merci, comme un fruit trop mûr qui n’attend que le cueilleur pour se détacher de l’arbre. Quant à votre faible race, et bien vos Karak tomberont face aux assauts des Skavens et des Peaux-Vertes… Alors, la date ?

Bramdal tourna la tête et planta ses yeux dans ceux de l’elfe et prit un air résigné

— Je ne dirais rien.

En réponse, l’elfe se mit tout d’abord à sourire, puis, à la grande surprise de son prisonnier, se mit à rire d’un rire froid, dur et cruel qui glaça le sang de Bramdal.

— Nous allons voir ça, nain, nous allons voir ça… Haerkan, que vous connaissez déjà, peut-être très persuasif,  vous savez…

Il claqua des doigts et une poignée de globes lumineux s’alluma, révélant les murs de la pièce, et Bramdal se glaça à leur vue : devant s’étendait tout un arsenal de torture.

 

* * *

 

Quand il reprit connaissance, Bramdal voyait rouge. Au sens propre du terme. Il sentait que son sang se répandait, aux alentours de la chaise où il était toujours attaché, coulant par ses nombreuses blessures dues aux tortures qu’il avait subies. Le sang devant ses yeux l’empêchait de voir quoi que ce soit, mais, de toute façon, la douleur obscurcirait sa vision par sa simple présence. La douleur… Depuis quand était-elle là, à le narguer, le tenailler, le faire souffrir ? Des heures, des jours peut-être, mais dans cet enfer, la notion du temps ne semblait pas exister. Seul résister importait, mais à quel prix ! Il ne sentait plus son bras droit et celui de gauche compensait largement ce manque de sensation par une souffrance qu’il associa à un avant-bras cassé, son dos avait été brûlé plus de fois qu’il n’aurait osé l’imaginer dans ses cauchemars et plusieurs de ses côtes semblaient brisées. De même, le goût du sang dans sa bouche lui rappela qu’il avait perdu une bonne demi-douzaine de ses dents. Plus bas, son pied gauche ne répondait plus et il ne préférait pas faire appel à la jambe droite : une fois avait suffi à lui faire comprendre qu’elle était hors d’état de faire quoi que ce soit.

Mais cela n’était rien par rapport à l’humiliation qu’il avait subie auparavant et qui avait été la cause de son évanouissement. D’ailleurs, il pensait pouvoir sentir, à travers l’odeur écœurante du sang, une odeur de poil roussi. En effet, sa barbe avait dangereusement raccourci et était sûrement ruinée. Voilà pourquoi seul la résistance lui offrait encore un espoir : seul sa mort sans avoir parlé était la seule solution pour retrouver son honneur, perdu avec la majeure partie de sa barbe…

Mais, tiens, il lui semblait que, pour une fois, les maudits Elgi ne le torturaient pas… Que ce passait-il ? Un mouvement derrière le voile rouge qui lui recouvrait les yeux, enfin le seul œil valide qui lui restait, lui indiqua que les Elfes conversaient entre eux… Que pouvaient-ils bien se dire ? Il essaya de se concentrer sur ce que recevaient ses oreilles, et entre le crépitement du feux où chauffaient quelques objets destiné à de sombres utilisations, il réussit à entendre quelques bribes d’une conversation… Mais peine perdue, la maîtrise de la langue elfique ne faisait pas partie de ses connaissances…

 

— Pardon ? La voix du maître était empreinte d’une profonde incrédulité.

— Avec tout le respect que je vous dois, répondit Haerkan, je vous répète que je ne peux plus rien pour vous. Il n’y a rien à tirer de ce Nain.

Le maître serra les dents, et, quand il répondit, une menace planait dans sa voix.

— Je croyais que vous aviez été envoyé par le Roi-Sorcier lui-même car vous étiez un maître en l’art de faire parler les prisonniers…

Le bourreau haussa les épaules et fixa les ténèbres sous la capuche de son interlocuteur.

— En effet, mais si vous n’aviez pas perdu votre sang froid tout à l’heure et ravagé la barbe du Nain, peut-être que les choses se seraient présentées différemment.

— En quoi cela aurait-il changé les choses ? Il avait juste à retenir sa langue et il ne l’a pas fait, voilà tout !

— Certes. L’impression qu’il vous a laissée ne regarde que vous. C’est plutôt l’impact psychologique de votre acte qui m’inquiète.

— Dans quelle mesure ?

— Eh bien, pour la simple et bonne raison que vous avez retiré au Nain le dernier moyen de pression qu’il nous restait.

— Quoi ?!

— Et oui, vous savez bien que tout Nain tient à sa barbe plus encore qu’à son or. Pour simplifier, les tortures que je lui ai fait subir n’étaient que de simples formalités : elles ont pour but de briser le courage et le moral de mes victimes. La plupart de celles-ci ne passent d’ailleurs pas cette étape et finissent par parler à un moment ou un autre. Mais ce n’est pas le cas de toutes. Celles qui réussissent à passer ce cap ont toujours une volonté de fer, et celle-ci se rattache toujours à une chose, matérielle ou non, qui permet à la victime de subir les tortures sans broncher, ou presque. Mais c’est aussi le point faible de la victime car c’est en fait la dernière chose à laquelle celle-ci se rattache à la vie. La solution la plus efficace et la plus simple et de menacer la victime de détruire la chose en question. Or, si celle-ci est détruite prématurément, la victime n’a plus de raison de vivre et il n’y a plus rien à en tirer. C’est en l’occurrence le cas du Nain. Mais il y a également d’autres issues, par exemple, ma première victime…

Un mouvement de la main et un ordre du maître le coupa dans sa phrase.

— Peu m’importe le sort de votre première victime. La seule chose qui compte, c’est que le Nain parle. Il y va de mon plan, de ma vie, mais aussi de la vôtre. N’y a-t-il vraiment pas d’autre alternative ?

— Venant de ma part, non. Le Nain est bien trop abimé pour que je puisse recommencer une torture intensive qui aurait une chance infime de le faire parler. En fait, ces heures sont comptées…

— De toute façon, dans quelques heures, nous n’aurons plus besoin de lui car il sera trop tard. Continuez.

— Eh bien, il ne nous reste que notre détenu spécial…

— Vous êtes vraiment sûr ?

— Je suis formel.

— Bien, allez donc le chercher.

Avec un petit salut de la tête, Haerkan sortit et se dirigea sans peine dans le dédale de couloirs et de portes qui formait le manoir. Il arriva ainsi devant une porte, grande, massive, métallique et intimidante. Sortant une bourse de sa poche, il s’avança vers la masse grise et rutilante que formait la fin du couloir et prit un petit rond métallique dans la bourse. Après avoir prononcé la formule adéquate, celui-ci prit la forme d’une clé, qu’il inséra dans la serrure de la porte, qui, après trois tours, s’ouvrit, révélant un sol nu, des murs nus et, au fond, une paillasse sur laquelle était étendu un Elfe à l’air affaibli. Celui-ci se tourna lentement vers lui lorsqu’Haerkan entra dans la pièce, et ce dernier put alors apprécier toute la maigreur du prisonnier, la peau, pâle était tendue sur les os, saillants, qui donnaient l’impression de se briser à chaque instant, sur son dos, entraperçu, apparaissaient les marques d‘innombrables coups de fouet. En dernier, Haerkan aperçut son visage, qui, entouré de cheveux châtains et négligés, était empli d’une profonde tristesse et de fatigue, même si un semblant de fierté y restait encore. Des cicatrices trainaient au niveau du coup, et une parcourait la joue gauche, les pommettes étaient relevées et saillantes, ce qui faisait ressortir les cernes sous les yeux, d’un vert intense, du prisonnier. En dernier, un nez droit et fier attestait une ascendance noble à l’Elfe, rendant encore plus pathétique l’aspect général du prisonnier.

Nullement impressionné par la scène, Haerkan s’avança dégaina de la main gauche un long coutelas, et sortit de sa poche une clé avec son autre main. Il s’approcha de l’Elfe et lui dit :

— Ilmarìn, on a du travail pour toi.

Comme celui-ci ne répondait pas, il continua :

— Je vais te détacher, pas d’entourloupes, hein ? Tu sais ce qui se passera si tu tentes quelque chose…

Il désigna de la pointe de son arme la longue cicatrice parcourant le visage du prisonnier, et un sourire cruel traversa celui d’Haerkan. Ilmarìn ne fit aucune remarque et tendit ses poignets, qu’Haerkan délivra, même si momentanément, et le prisonnier se dirigea vers la sortie, poussé par son geôlier. Ayant fait le chemin en sens inverse, ils arrivèrent à la salle de torture, où le maître les attendait patiemment, assis sur un banc posé contre le mur. Quand il les aperçu, il se leva et disparu au fond de la salle, d’où il revint avec une petit boîte, qu’il ouvrit et tendit à Ilmarìn en disant :

— Tiens. Je veux savoir la date du rendez-vous qu’il a avec le Roi Phénix. Et une heure précise !

Le prisonnier sorti de la boîte une petite bague, avec un petit éclat de pierre noire aux reflets violets enchâssée à l’intérieur. La passant à l’annulaire de sa main droite, l’Elfe s’avança vers le Nain, leva le bras et arrête sa main, avec la bague, à quelques centimètres du front du Nain. Aussitôt, se lèvres se mirent à bouger, entonnant une litanie muette et silencieuse. Haerkan et son maître reculèrent précautionneusement lorsque la pierre sur la bague se mit à briller. Alors, et rai de lumière violette fusa de la bague vers le front du Nain et les muscles des deux protagonistes, Ilmarìn et Bramdal, se tendirent en un instant. Un combat intérieur semblait se dérouler entre les deux personnages, le Nain grinçant des dents et l’Elfe plissant les yeux. Puis, au bout d’un moment, l’Elfe rejeta sa tête en arrière et, dans un souffle, déclara :

— Demain, trois heures après le zénith.

 

 

 

Aussitôt, le Nain poussa un cri déchirant, l’Elfe rouvrit ses paupières, montrant des yeux révulsés et tous deux s’effondrèrent, Ilmarìn sur le sol et Bramdal sur son siège.

Sur un mouvement de tête du maître, Haerkan s’avança, s’agenouilla après de la forme prostrée d’Ilmarìn, lui retira son anneau et tâta son pouls, déclarant :

— Il survivra.

Puis il se releva et se retourna pour faire de même avec le Nain, puis il se retourna vers le maître, auquel il dit laconiquement :

— Il est mort.

Et le maître répondit :

— Tant mieux pour nous ! Donne-le à Karly’an, elle saura s’en débarrasser…

— Bien.

— Quant à moi, il faut que je donne une petite commission à donner à mon espion…

Et il sortit, non sans éviter la plate remarque du bourreau :

— Cela ne regarde que vous.

 

Et, plus tard, une ombre se glissa par-dessus les remparts du palais royal, atterrit dans un jardin, déposa un objet contre un pilier et le dissimula derrière une plante grimpante, puis reparti.

C’était l’aube.

 

À suivre...

 

Chapitre premier, seconde partie :

 

 Note de l'auteur :

Voici donc la suite des aventures de Gromdal. Je tiens à préciser que effectivement le chapitre n'est pas encore fini... Mais on en voit le bout ! La première moitié de la suite est écrite mais pas corrigée, et la seconde partie... est encore dans ma tête ! Mais ne vous inquiètez pas, ça vient...

Bonne lecture à tous !

 

Et ce fut à cette même aube que se leva Aramir. C’est peu avant la deuxième moitié de la matinée qu’il sortit de son petit manoir en bordure du palais après s’être sustenté et préparé. En se dirigeant vers les quartiers des Nains, il croisa de nombreux gardes à l’allure pressée et au visage soucieux. Que font-ils ici ? Se demanda-t-il, un sentiment d’inquiétude naissant dans son ventre. Sentiment qui ne fit qu’empirer lorsqu’il arriva dans le hall des Nains : quelques Lions Blancs et une dizaine de gardes maritimes guidés par Braïch’il s’affairaient avec autour de la table avec les Nains, les chefs des deux partis étant en train de mener une discussion animée.

 

— Est-ce que quelqu’un pourrait avoir l’obligeance de m’expliquer ce qui se passe ici ? lança-t-il avec force.

 

Ce fut Gromdal qui lui répondit, se détournant de son interlocuteur initial :

 

— Il se passe qu’un de mes guerriers a disparu !

— Enlevé par les Elgi ! rajouta un Nain.

— Vous n’avez aucune preuve, et nous non plus ! contra amèrement Braïch’il.

 

Aramir s’interposa entre ce dernier et les Nains.

 

— Attendez, calmez-vous et asseyez-vous, ensuite nous pourrons nous expliquer calmement, dit-il en appuyant bien sur le mot « calmement ».

 

Sans se quitter des yeux et les mains sur leurs armes respectives, Braïch’il et Gromdal obtempérèrent, suivis par les autres Nains. Les Lions Blancs se positionnèrent silencieusement de part et d’autre de la pièce tandis que les gardes maritimes, d’un geste de leur capitaine, se retiraient.

 

— Voilà qui est mieux. Maintenant, vous allez me dire en détails ce qu’il s’est passé depuis hier soir. Et sans en venir aux mains, de préférence.

 

Après un soupir, ce fut Braïch’il qui prit la parole :

 

— C’est bien parce que tu es le seul à pouvoir raisonner les Nains que je fais ça… En gros, un des envoyés, répondant au nom de Bramdal, était là hier soir mais n’y était plus ce matin. Personne n’a rien vu ni entendu, les gardes compris. La dernière personne à l’avoir aperçu est Orund (il montra d’un mouvement de tête le Nain à Aramir) : ils ont parlé sur le balcon, puis Orund est parti, laissant Bramdal seul. À partir d’ici, plus aucune nouvelle de lui. De plus, aucune de ses affaires n’ont disparu.

— Bon, j’avoue que c’est inquiétant, repris Aramir, mais pourquoi tout ce remue-ménage ? À part le fait que personne ne l’ai vu partir, il l’y a pas de quoi en faire tout ça !

— Eh bien, le problème c’est que l’on a retrouvé des traces de pas, d’Elfe, évidemment, dans le jardin, menant de dessous notre balcon jusqu’aux remparts, et la profondeur de celles-ci montrent que c’était un Elfe chargé d’un poids relativement lourd…

— Et vous pensez à un enlèvement, donc, termina l’Elfe.

— Oui ! Nous le pensons tous ! s’exclama Braïch’il, visiblement irrité. Mais le problème, c’est qu’ils refusent d’aller voir le Roi !

 

Aramir était abasourdi.

 

— Quoi ? Mais, mais ce n’est pas possible !

— Ah bon ! s’exclama un des Nains en croisant les bras. Et pourquoi cela ?

— Eh bien… Euh… Ce serait un affront incommensurable à la personne de Finubar, et cela ferait échouer notre tentative d’établir une alliance entre nos deux peuples !

 

Il se tourna vers Gromdal et l’implora du regard. Mais celui-ci se contenta de hausser les épaules, et lui dit laconiquement :

 

— Que veux-tu ? Mes hommes passent avant tout le reste. Il me doit de le retrouver en priorité.

— Mais nous avons bâti tout ce projet ensemble ! Tu laisserais tout tomber ? Ne fais-tu pas confiance en Braïch’il et ses troupes ?

— Si, mais… Bon, en fait, pas vraiment.

— Mais il y a sûrement un moyen de s’arranger, de trouver un compromis ! Ne me dites pas que vous n’y avez pas pensé au lieu de vous disputer !

 

D’après leurs regards, Aramir devina que si.

 

— Réfléchissez un peu, bon sang, il doit y avoir une solution…

 

L’Elfe réfléchit un petit peu avant de reprendre :

 

— Étant donné que vous êtes une bonne trentaine, je ne pense pas qu’il soit nécessaire que tous se présentent à la rencontre avec le Roi Phénix. Il ne faut qu’un représentant pour chaque forteresse, ce qui nous laisse qui ?

 

Les Nains prirent un peu de temps pour s’organiser. Finalement, une dizaine de Nains, dont Gromdal, se porta volontaire pour les représenter. Les vingt autres s’arrangeraient avec Braïch’il. Aramir reprit :

 

— Bon, maintenant, vous vingt, vous pouvez vous arranger avec Braïch’il. Quand à vous, vous avez une demi-heure pour vous préparer. Je vous attends dehors.

 

Et il les planta là.

 

* * *

 

Une heure plus tard, le groupe de Nains, avec à sa tête Gromdal accompagné d’Aramir, sans oublier les deux Lions Blancs qui devaient les « guider » à travers le palais, se dirigeait vers la salle où Finubar les recevrait. Après quelques minutes de marche, ils arrivèrent devant une gigantesque porte de bois ouvragé, devant laquelle se tenait un seul et unique Lion Blanc. Et pas n’importe quel Lion Blanc, pensa Gromdal, il doit être ce qui se rapproche le plus d’un chef pour eux. En effet, il avait senti que leurs gardes s’étaient redressés à leur arrivée devant la porte, et ils regardaient leur « chef » avec un mélange de respect et d’admiration à peine dissimulée. Et puis il y avait le physique de l’Elfe, aussi. Jamais vu un Elfe aussi musclé… Déjà que les Lions Blancs normaux n’ont rien à envier à un Nain, autant celui-là ferait pâlir un troll ! La voix d’Aramir le tira de ses pensées :

 

— Je vous présente Korhil, le capitaine des Lions Blancs. Il inspectera vos cadeaux afin d’éviter tout tentative d’attentat envers la personne du Roi.

 

Voyant que tous allaient ouvrir la bouche pour protester, il ajouta :

 

— Ce n’est qu’une simple formalité, bien sûr ! Nous sommes tous contraints à ceci : personne ne doit approcher le roi armé ; même les nobles issus de familles très anciennes ayant prouvé mille fois leur confiance se doivent d’obéir…

 

Apparemment, les Nains furent convaincus, et Korhil put inspecter, certes avec une tension dans l’air, les présents des Nains. Gromdal inspira profondément. J’espère qu’il ne va pas insister sur certains de nos cadeaux, sinon, on n’est pas près de voir ne serait-ce que le coin de la cape de leur Roi… À peine eut-il finit la formulation de cette pensée que le capitaine s’arrêtait et appelait Aramir dans sa langue natale en lui montrant un grand paquetage qui contenait une gigantesque arquebuse. L’ambassadeur elfique s’empressa de traduire :

 

— Il vous sera impossible d’emporter ceci auprès du Roi.

 

Le Nain qui représentait Zhufbar, Ekrind Barbe d’Acier, et qui offrait l’arquebuse s’offusqua :

 

— Quoi ? Mais c’est un cadeau pour Finubar ! Si vous saviez ce qu’on a fait pour concevoir une arquebuse comme ça ! M’en vais lui casser la…

 

Mais c’était sans compter sur Gromdal, qui ne l’entendait pas de cette oreille. D’un geste, il stoppa l’ingénieur, puis il s’adressa à Korhil :

 

— Vous n’allez pas nous empêcher d’offrir nos présents à votre Roi. Cependant, si vous ne nous faites pas confiance, ce qui peut paraître logique, qu’un de vos Lions Blancs accompagne Ekrind et porte cette arquebuse tout en restant vigilant. Comme ça, vous ne prenez aucun risque !

 

Aramir se mit à traduire ces propos au capitaine, et celui-ci répondit :

 

— Qu’il en soit ainsi.

 

Il ordonna ensuite à un des gardes de porter l’arquebuse, qu’Ekrind  avait rangée avec soin dans sa boite. L’inspection se passa ensuite sans anicroches. La fouille des Nains ne révélant aucun objet jugé susceptible de nuire à Finubar, la troupe fut donc autorisée à entrer dans la salle.

 

 

Gromdal était impatient et regarda avec avidité au-delà de la porte en train de s’ouvrir. Une lumière blanche, dominante, assailli immédiatement le Nain, l’empêchant de distinguer quoi que ce soit avant que ses yeux ne se fussent habitués à la puissante luminosité lors de son entrée. C’est alors qu’il put observer avec étonnement et admiration la salle où ils allaient rencontrer le Roi Phénix : le hall était peu large et très long, bordé d’un côté de hauts balcons,  et de l’autre d’un jardin d’où provenait l’abondante luminosité de la salle, accessible par de nombreuses ouvertures disposées entre les colonnes du hall. Ces piliers étaient grands et effilés, majestueux. Taillés à l’image de gigantesques troncs d’arbres dont les branches dessinaient les ouvertures vers le jardin, ils portaient les balcons et soutenaient le plafond vouté. Entre les branches évoluaient une myriade de phénix peints en plein vol, couvant ou se posant sur les arbres, et, au plafond s’étalait un magnifique ciel étoilé montrant les constellations elfiques visibles en Ulthuan.

 

Écrasé par la grandeur de la salle, Gromdal laissa échapper un petit sifflement admiratif. D’ailleurs, si ses oreilles ne le trompaient pas, il n’était pas le seul à réagir de la même façon. Aramir les pressa de s’avancer, et les Nains se mirent en marche, traversant la foule bigarrée des nobles et des princes elfiques alors qu’un grand elfe à l’air strict et hautain frappait le sol de son bâton décoré de runes, annonçant la troupe :

 

— La délégation des Nains du Karaz Ankor, menée par Gromdal Drekgiti, ambassadeur de Karak Grom et thane du clan Byrnik, accompagné de Kurgan Godrisson, thane et prince héritier de Karak Grom ; d’Orund Driksson Maître du Savoir de Karak Hirn ; d’Ekrin Angtromm, ingénieur de Zhufbar, de Bragi Drazhgrund, maître tailleur de Karak Kadrin ; d’Arek Grimrikkaz, maître des runes de Karaz a Karak ; de Gurdin Koltromm, thane mineur de Karak Norn ; de Dremnil Hongisson, maître de forge de Karak Izor ; et d’Hagrim Garazaz, capitaine de la garde des Brise-fer de Karak Grom.

 

Après un temps, il rajouta :

 

— Et Aramir l’Ambassadeur.

 

La lente traversée du hall permit à Aramir de bien observer son entourage : de nombreux nobles et princes de toutes les contrées d’Ulthuan étaient présents : il reconnut quelques princes de Caledor à leur façon de se tenir et leurs tenues à la teinte principale rouge, des nobles de Chrace, grands, blonds et plus musclés que la moyenne, des énigmatiques mages de Saphery, des seigneurs d’Ellirion, fins et altiers, des nobles d’Eataine et des habitués de la cour, reconnaissables à leur vêtements le plus souvent frappé du phénix de la lignée royale. Tous les toisaient, lui et les Nains, avec un mélange de dégoût et de dédain. Mais aussi d’étonnement. En effet, le Roi n’était censé révéler la présence des Nains, aux Nobles, seulement ce matin avant l’ouverture des discussions. Au fur et à mesure que la troupe s’approchait du trône, la respiration d’Aramir s’accélérait : il avait tout misé sur cette rencontre et ne voulait pas voir tous ses espoirs s’effondrer. Tout va bien se passer, se répétait-il inlassablement en lui-même, tout va bien se passer. Ils arrivèrent enfin devant le trône, lequel était entouré d’une foule dense de Noble, apparemment en train de débattre ardemment avec le Roi, qui restait invisible pour la petite troupe. Que se passe-t-il ? se demanda Aramir. Au bout d’un petit moment d’attente, il se tourna vers les Nains et leur dit :

 

— Bon, je vais voir ce que fait le roi. Attendez-moi : ne bougez pas !

 

 

Gromdal ordonna à ses Nains de rester sur place et profita de ce petit moment de répit pour porter plus d’attention à son entourage. Bien évidemment, son regard se porta en premier sur ses fidèles compagnons nains. Tous avaient l’air tendus et regardaient d’un air méfiant les gens de la cours, quand ils n’observaient pas, avec une certaine admiration, l’architecture de la salle. Gromdal les comprenait parfaitement. En effet, lui aussi ne pouvait s’empêcher de se sentir mal à l’aise parmi ces Elgi… Il sentait les regards dans son dos et ne rencontrait que des regards méfiants et dédaigneux lorsqu’il se tournait vers eux, et les paroles à voix basses qu’ils s’échangeaient n’arrangeaient en rien la situation… Il fut tiré de ses pensées par Aramir qui fendit la foule de nobles sans prêter attention aux regards que lui adressaient les princes qu’il bousculait au passage. S’arrêtant devant Gromdal, il lança  l’attention des Nains :

 

— Le Roi n’a pas encore fini ses séances de doléances… Et nous sommes bien obligés de l’attendre…

 

Il soupira avant de rajouter, cette fois avec le sourire :

 

— D’ailleurs, je propose que nous allions faire un tour dans les jardins… Il y a une bonne surprise pour toi, Gromdal.

— Une surprise ? répondit l’interpelé. De quelle sorte ?

— Eh ! Si je te le dis, ce n’en est plus une ! Venez, suivez-moi.

 

L’Elfe les guida vers une sortie menant aux jardins. Enfin… Appeler ça un jardin… c’est un euphémisme ! fut la première pensée de Gromdal. En effet, devant lui s’étendait une immense étendue herbeuse où étaient plantés de vénérables chênes aux innombrables branches sous lesquelles reposaient, à l’abri du soleil, plusieurs statues aux effigies des rois, reines et héros de jadis. Le Nain aperçu quelques étangs garnis de fontaines somptueuses représentant des scènes mythologique, et même quelques gloriettes. Au milieu de tout cela déambulaient princes, princesses et nobles, qui discutaient tranquillement entre eux, ou profitaient simplement de la sérénité du lieu tout en marchant sur les chemins dallés qui parcouraient le parc.

 

Alors qu’il observait, tout en marchant, la place avec curiosité, il se fit bousculer par un noble, qui, de toute évidence, n’était pas plus concentré que lui. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer son chemin, sans aucun mot et en jetant au Nain un regard méprisant. Celui-ci allait lui envoyer quelques propos peu diplomatiques, mais il fut arrêté par Aramir, qui lui posa la main sur son épaule en disant :

 

— Ce n’est pas la peine d’en faire un scandale, mon vieil ami. Ça ne servirait qu’à te faire mal voir. N’oublie pas qu’ici, tu n’es qu’un étranger, et peu désirable de surcroit. Alors prends garde, vieux camarade, je ne veux pas que tous nos espoirs s’envolent à cause d’un prince trop hautain.

 

Et sur ces paroles peu rassurantes, Aramir regarda autour de lui, et pointa quelque chose à Gromdal dans le ciel :

 

— Tiens ! Regarde ça : un Prince nous offre un numéro de voltige ! Profites-en car c’est plutôt rare ces temps-ci.

 

En scrutant le ciel dans la direction indiquée, le Nain aperçu effectivement un Elfe, qui, monté sur un imposant griffon à la robe blanche, exécutait de nombreuses figures complexes dans le ciel. Non loin, un petit groupe d’Elfes regardait également le spectacle en poussant de temps en temps des « Oh ! » et des « Ah ! ». Ne voulant pas vexer Aramir, qui observait attentivement l’Elfe et son griffon, Gromdal fit de même, laissant ses Nains se promener un peu dans le parc. Au bout d’un moment, le cavalier se lança dans un piqué vertigineux, passant juste au-dessus des deux ambassadeurs. D’après ce que le Nain put voir de l’Elfe alors que celui-ci les dépassait, celui-ci sursauta en apercevant les deux singuliers personnages. Pas étonnant, pensa Gromdal, s’il était déjà en train de faire son numéro lorsque Finubar avait annoncé notre arrivée, il a de quoi être surpris ! À peine le Nain avait-il finit de formuler cette pensée que l’Elfe avait fait atterrir son griffon, était descendu de selle et avançait, tenant sa monture par sa bride, vers Aramir et Gromdal. Celui-ci se demanda ce qu’il pouvait bien leur vouloir, et comprit dès qu’il put discerner avec précision le cavalier. Celui-ci était grand, à la chevelure blonde et aux yeux bleu, à l’air humble mais imposant tout de même le respect. Le Nain sourit et s’écria :

 

— Ce bon vieux Menieth ! Ça faisait un bail !

 

Et sur ce, chacun se lança dans les bras de l’autre, sous les regards ahuris d’Aramir, des Nains et des quelques autres Elfes ayant assistés à la scène. Puis Gromdal ce dégagea et admira le griffon.

 

— Ne me dis pas que c’est celui de Godri ! Il a grandi depuis le temps !

— Tu sais, ça fait quand même neuf ans qu’on ne s’est pas vu… répondit placidement Menieth. Les choses changent, entre temps.

 

Disant cela, Menieth salua Aramir, qui répondit d’un bref signe de tête, accompagné d’un :

 

— Salutations, Prince Menieth de Tor Caelir.

 

Puis il suivit le prince et le thane alors que ceux-ci commencèrent à déambuler dans le parc, continuant leur discussion.

 

— Oui, c’est vrai, les choses changent… continua Gromdal. Mais dis-donc, ça fait vraiment si longtemps qu’on ne s’est pas vu ?

— En effet… Mais on m’a dit que tu avais été très occupé pendant tout de temps !

— Oh, trois fois rien ! répondit Gromdal avec un grand sourire. J’ai juste participé au sauvetage de Kraka Drakk avec une armée de Tueurs, et j’ai passé un petit séjour forcé à Mingol Zharr Naggrund…

— Mingol Zharr Naggrund ? Qu’est-ce donc ?

— La capitale des Dawi Zharr. Je te souhaite de ne jamais y aller, et surtout pas en tant qu’esclave.

— Ah. J’imagine que ça n’a pas été très agréable…

— Non, en effet, j’y ai laissé des plumes, et quelques bons camarades, aussi.

— Toutes mes condoléances, et les plus sincères.

— Je n’en ai pas besoin, mon ami : ils sont tous morts dignement et se sont donc assuré leur entrée dans les halls des ancêtres. Mais rassure-toi, tout n’a pas été pour le pire…

— Vraiment ?

— Oui. J’y ai tué Zharr Makaz, tu te souviens ? C’était le chef des dawi Zharr que nous avons mis ensemble en déroute…

— En effet, ça me revient… J’aurais bien aimé assister à la scène… Il nous a pris tant des guerriers…

 

Ils allaient continuer leur discussion, mais furent interrompus par un Lion Blanc annonçant que le Roi Finubar était prêt à les recevoir. Rassemblant les Nains éparpillés au passage, Aramir et Gromdal se dirigèrent vers le hall, accompagnés du garde et Menieth, qui avait apparemment décidé de laisser son griffon pour suivre les Nains.

 

 

En entrant, Gromdal remarqua de suite que l’assemblée des seigneurs s’était à présent dispersée pour laisser un assez grand espace autour du trône sur lequel Finubar, le Roi Phénix était assis. Celui-ci, grand, blond et à la stature altière, dominait l’assemblée de ses yeux couleur de tempête. Vêtu d’une ample robe représentant un phénix jaillissant des flammes, finement détaillé, il observait les Nains d’un regard calme. À sa droite, au pied du trône, se tenait un énigmatique personnage : un vieil Elfe à l’allure pincée. Au bout d’un moment de silence, le roi se redressa et, ouvrant ses bras en grand,  adressa la parole aux Nains, tout sourire, en elfique. Aussitôt le vieillard traduisit les propos de Finubar presque instantanément:

 

— Tromm Dawal ! Arm af dalgedi. Sargand af akazaki bin ut, un ut bin af.

 

Ce qui, dans notre langage, peut se traduire ainsi :

 

— Salutations, Nains ! Soyez les bienvenus. Puissiez-vous trouver des alliés en nous, et nous en vous.

 

Eh bien, quel accueil ! pensa Gromdal. Ça s’annonce plutôt bien ! Il s’inclina bien bas avant de répondre :

 

— Tromm, Rik a Elgi ! Ut na angronit grobkazi a dalaki.

 

Ce qui veut dire :

 

— Salutations, roi des Elfes ! Nous ne referons pas les erreurs du passé.

 

De même, les paroles de Gromdal furent aussi rapidement traduites, ce qui donnait au Nain l’impression d’une conversation directe avec le roi. Ce dernier opina solennellement du chef, avant de répondre par le biais de son interprète.

 

— Ça nous le confirmerons, ou non, plus tard. Mais venons-en au fait : qu’est-ce que votre Haut-Roi a à nous proposer ?

 

L’ambassadeur nain prit son temps pour répondre.

 

— Eh bien, les rois de mon peuple ont tranché : nous nous engageons tout d’abord dans un accord, mutuel, cela va de soi, entre nos deux peuples visant à améliorer, dans un premier temps, nos échanges commerciaux. Cela représente des économies considérables. Ensuite, nous pourrions même aller jusqu’à une alliance militaire.

 

Gromdal effectua une petite pause pour permettre à l’assemblée de savourer ces propos. Il enchaîna :

 

— Bien évidemment, il nous est impossible de forger cette alliance sans que chacun ait confiance en l’autre, ou tout au moins que chacun connaisse les coutumes de l’autre afin qu’aucun litige né d’un regrettable malentendu puisse naitre entre deux armées de nos nations respectives. D’où la raison majeure de notre présence : nous ne sommes pas uniquement venus ici pour cette simple assemblée, mais, avec la permission de Sa Majesté, pour étudier les coutumes et façons de vivre de votre peuple. Nous servirions ensuite d’intermédiaires entre nos deux peuples, et de conseillers pour nos Rois. Il est compréhensible que vous puissiez souhaiter envoyer une délégation similaire au Karaz Ankor. Si tel est le cas, soyez informé que le Haut Roi Thorgrim le Rancunier s’engage à la recevoir.

 

Il s’arrêta, et indiqua aux autres Nains de s’avancer.

 

— D’ailleurs, pour prouver notre bonne foi, nous vous avons apporté des présents de nos Kazad respectifs.

 

Gurdin Koltromm, le thane mineur fut le premier à s’avancer. Il tenait dans ses mains un écrin en cerisier poli et gravé de nombreuses runes stylisées :

 

— Moi, Gurdin Koltromm, représentant de Karak Norn, apporte au roi des Elfes un collier d’émeraudes sorties de la mine de mon clan. Sachez que c’est là un grand honneur que vous fait mon roi : les pierres précieuses sont très rares dans les alentours de mon Karak.

 

Et, disant cela, il ouvrit le coffret et en sorti un magnifique collier doré. Celui-ci, aux dorures ouvragées et rutilantes, était serti de multiples émeraudes, vertes et brillantes sous la lumière du soleil. Finubar fit signe à un de ses gardes de prendre le collier et de le lui apporter. Prenant celui-ci dans ces mains, il observa longuement les gemmes avant de déclarer, toujours en elfique :

 

— Je me sens honoré de ce somptueux présent, et soyez sûrs que je le porterai à notre prochaine rencontre.

 

Il redonna le collier au garde, qui le remit de son écrin avant de la poser à côté du trône de son roi. Gurdin s’inclina bien bas et se replaça dans le rang des Nains, alors qu’un autre, Arek, s’avança, présentant un petit pendentif en or gravé d’une seule et unique rune, brillant d’un halo bleuté.

 

— Moi, Arek Grimrikkaz, envoyé de Karaz-a-Karak, présente mes respects à Finubar le Roi Phénix, et lui offre un talisman runique de ma conception.

 

Alors que le garde prenait l’objet pour le tendre au roi, le maître des runes s’expliqua :

 

— Il s’agit d’une rune majeure crée par mon grand-père et dont la confection est jalousement gardée par ma famille. Elle garantit à son porteur une barrière invulnérable à toute attaque magique, de n’importe quelle sorte. Même Malékith, ou encore votre grand mage Teclis, ne pourraient la franchir !

 

Finubar hocha solennellement la tête en guise de remerciement et redonna le pendentif au garde, qui le posa sur l’écrin, tandis qu’Arek se retirait pour faire place à Ekrin, qui présenta son arquebuse au roi :

 

— Roi des Elfes, je suis Ekrin Angtromm, et j’apporte de Zhufbar une arquebuse spécialement conçue pour votre personne !

 

Cette remarque provoqua une vague d’agitation dans l’assemblée, et même Finubar paru décontenancé, et se pencha sur son trône pour mieux voir. L’ingénieur remarqua le regard curieux du Roi, et dit :

 

— Tenez, je vais vous montrer comment ça marche. Et vous êtes chanceux, nous y avons incorporé toutes nos inventions les plus récentes !

 

Il sorti une balle et une cartouche de poudre noire d’une de ses sacoches, et continua, chargeant l’arme au fur et à mesure de l’avancement de son explication :

 

— Voyez plutôt : vous ouvrez ce compartiment et y insérez la cartouche de poudre. Ensuite, il faut introduire la balle dans l’autre comp…

 

Il ne termina pas sa phrase, étant brutalement interrompu par les Lions Blancs, qui, sortis de leur léthargie apparente, s’élancèrent, l’un deux, le premier à réagir, cria dans sa langue quelque chose que Gromdal ne comprit pas, prenant l’arquebuse des mains de l’ingénieur tandis que les autres gardes formaient un cercle protecteur autour de leur roi. Tous les nobles reculèrent avec une moue d’effroi. Aramir, comprenant le malentendu, s’interposa entre le Nains et la garde du roi, s’écriant en Reikspiel :

 

— Attendez ! Le Nain ne pensait pas à mal ! En aucun cas il pensait à la portée de son geste, et il serait aberrant de considérer celui-ci comme une tentative d’assassinat !

 

Il n’y eut aucune réaction de la part des Lions Blancs.

 

— Laissez le finir, au moins ! Faites en sorte qu’il pointe son arme ailleurs et placez un garde à côté de lui pour la maintenir, et il n’y aura aucun danger !

 

De même, les gardes restèrent stoïques, jusqu’à ce que Finubar se lève en disant d’une voie claire et intimidante, cette fois s’adressant directement aux Nains et en Reikspiel, à la grande surprise de son interprète :

 

— Assez ! Reprenez vos places et faites comme notre ambassadeur l’a si bien dit. Est-ce clair ? Il serait bien mal à propos d’insulter nos invités, n’est-ce pas ?

 

Les gardes, portant toujours leur expression de marbre, se remirent en position, sauf un, le détenteur de l’arquebuse, qu’il remit dans les mains d’Ekrin, en le tournant de force vers le mur menant aux jardins. Finubar se rassit avant de continuer :

 

— Bon, continuez  votre explication sur ce modèle d’arquebuse faite pour des Elfes, qu’attendez-vous ?

 

L’ingénieur, quelque peu décontenancé, continua :

 

— Euh, oui, oui. Donc, comme je le disais, il faut ensuite introduire la balle dans le compartiment, porter l’arme à son épaule et viser en alignant la cible à travers les deux marqueurs placés ce le canon. Il suffit simplement d’appuyer sur la gâchette pour que le coup parte. Évidemment, vu la confiance qui règne, il vaut mieux que je ne fasse pas de démonstration…

 

Le Roi Phénix répondit en souriant :

 

— Non, en effet, mais donnez-la moi, j’aimerai essayer.

 

Puis il avisa les autres Nains qui attendaient avec leurs présents respectifs, et rajouta :

 

— Hum, je ferais ça après que chacun ait présenté ses cadeaux. Entre temps, gardez-la.

 

Ekrin s’inclina et repartit dans le rang, alors que Gromdal s’avançait, portant un long coffre de bois, peu épais et visiblement usé. Arrivé devant le trône, il ouvrit la boîte pour en sortir un arc elfique, sous les yeux étonnés de l’assistance. L’arc, plus court que les arcs longs habituels chez les Elfes, était fait de bois blanc incrusté de magnifiques gemmes bleues irradiant de mille reflets sous la lumière du soleil. Gromdal s’expliqua

 

— Permettez-moi, seigneur des seigneurs des Elfes, de vous offrir l’arc elfique qui fut jadis offert à mon ancêtre par Ithalred, seigneur de Tor Eorfith, la forteresse du Nid d’aigle.

 

Il mit un genou à terre et tendit l’arc vers le trône. Cette fois, Finubar lui-même descendit de son trône pour prendre l’arc, qu’il examina minutieusement. Une fois rassis sur son trône, il dit au Nain :

 

— Tu peux te relever. C’est une belle arme. Une vieille arme. Donnée à ton ancêtre par le seigneur du Nid d’aigle, dis-tu ? Voilà une histoire que je voudrais bien entendre…

 

Gromdal prit une longue inspiration avant de répondre :

 

— Eh bien… C’est une longue histoire, mais si ça majesté insiste, qu’il en soit ainsi.

 

« Il advint, en des temps bien reculés, avant même le début de véritables alliances entre nos deux peuples, que le roi de Karak Ungor, Bagrik, vint à tisser des liens avec le seigneur du Nid d’aigle, appelé par votre peuple Tor Eorfith. Ithalred, le seigneur de la cité, fut un jour invité avec sa suite à la forteresse. Cette entrevue, décisive, devait permettre le développement d’une alliance militaire et commerciale entre les deux cités, et fut le cadre de l’échange de nombreux présents entre les deux dirigeants. L’arc que vous tenez maintenant entre vos mains faisait partie des cadeaux d’Ithalred. Or, au même moment se dirigeait une armée de serviteurs du chaos sur la cité des Hauts-Elfes, dont la flotte venait d’être balayée par les guerriers du Nord. Rien ne semblait pouvoir s’interposer pour l’empêcher de ravager la ville, l’armée des Asurs étant trop réduite pour faire face à une telle menace. Ithalred dut donc se résoudre à commettre un acte effroyable pour s’assurer du soutien des Nains : il donna l’ordre à l’un de ses lieutenants d’assassiner le fils de Bagrik, Nagrim, alors que celui-ci était parti mener une grobkul avec des amis, et de faire passer le crime pour celui d’éclaireurs maraudeurs. Le roi, enragé par ce meurtre, se rangea immédiatement au côté du prince elfique, et l’armée des Nain se mis en route depuis la forteresse jusqu’à la plaine de l’enclume brisée, où les Asurs les attendaient,  afin d’intercepter les guerriers du chaos avant qu’ils n’atteignent la cité. La victoire revint aux alliés, qui poursuivirent les barbares survivants jusqu’aux rivages de la mer des crocs, où les serviteurs des dieux sombres tinrent leur dernier carré. Ce fut lors de cette bataille mémorable que Morek, alors capitaine de la garde royale, défit le puissant démon du chaos qui servait de guide, et que Bagrik abattit le seigneur de l’ost des dieux sombre lors d’un féroce combat singulier — où il fut lui-même blessé gravement par une lame qui s’avéra plus tard empoisonnée, provoquant ainsi la fuite et la destruction totale de l’armée chaotique.

 

« Rien ne semblait alors pouvoir empêcher l’alliance entre Asurs et Dawi, les combats ayant liés Elfes et Nains d’une façon sans pareille. Mais le destin se chargea de punir les Hauts-Elfes pour leur méfait : en effet, un des Nains qui participaient à la fatale expédition de l’héritier, laissé pour mort, fut recueilli par un ermite qui le soigna et le ramena à la forteresse lorsqu’il fut guéri. Rugnir, car c’était le nom du survivant, arriva à la forteresse le jour même de la célébration de la victoire des alliés. Bagrik, et tous les autres Nains, furent choqués d’entendre le récit du camarade de Nagrim, qu’Ithalred ne chercha même pas à contredire, plaidant que c’était pour lui le seul moyen de sauver sa cité. Le roi, les dents serrées, ordonna aux Elfes de quitter la forteresse pour rejoindre le Nid d’Aigle, leur laissant trois jours de sursis avant de lancer l’assaut contre la ville en vertu du sang versé par les alliés lors des batailles contre les guerriers du chaos.

 

« Trois jours plus tard, le throng partit pour détruire la cité et obtenir la tête du seigneur du Nid d’Aigle. Au bout d’un court siège, les Nains abattirent les murs de la cité, mirent à bas sa porte et s’engouffrèrent dans la ville, tuant tout le monde sur leur passage et ne trouvant guère de résistance car la plupart des Elfes étaient tombés lors de leurs tentatives pour repousser les Nains lorsque ceux-ci étaient arrivés aux limites de la forteresse. Seul résistait aux portes de la ville un petit groupe de maîtres des épées, avec à leur tête Ithalred, massacrant tout Nain osant les défier. Puis vint Bagrik, et tous s’écartèrent devant lui et Ithalred, les guerriers cessant les hostilités pour observer le combat entre les deux seigneurs. Le combat dura presque un jour, mais Ithalred ne pouvait surpasser l’endurance du roi nain, et sa garde faiblissant, Bagrik l’abattit. Le seigneur Nain ordonna donc à tous de cesser les combats, et dit aux Elfes, qu’Ithalred mort, il accepterait une reddition de la part des derniers survivants, qui devraient partir avec leurs bateaux avant que les Nains ne mettent le feu à la cité afin d’en effacer toute trace. Les Elfes survivant obtempérèrent avec soulagement, et partirent du Vieux Monde pour retourner sur leur île. Cela fait, Bagrik descendit de son bouclier, pour prendre dans ses mains une poignée de terre avant de succomber au poison de la lame du chaos qui n’avait eu cesse de le ronger depuis la dernière victoire des alliés. Ainsi mourut le plus grand roi de Karak Ungor.

 

« Cependant, l’histoire de ma famille et de la forteresse ne s’arrête pas là. En effet, le throng revint à la forteresse, et Brunvilda, la femme de Bagrik, épousa Morek, qui devint roi. Ainsi continua la lignée des rois de Karak Ungor.

 

« Bien plus tard, il est connu de tous les Nains que la forteresse tomba entre les mains des gobelins de la tribu de l’œil rouge, et que les derniers membres de la famille royale se réfugièrent à Karaz-a-Karak, où ils furent accueillis à bras ouverts par le Haut-Roi lui-même. Le fils du roi de Karak Ungor lui prêta serment et devint ranger, la meilleure voie selon lui pour tuer du grobi.

 

« Bien des années plus tard, le jeune Hagrim, dernier descendant de la famille royale — car la lignée s’était presque complètement éteinte pendant que tous ses représentants tombaient au combat contre les peaux-vertes, lors des assauts pour reprendre leur Karak — ce décida à partir vers Karak-aux-huit-Pics, alors assiégée par les grobi et les thaggoraki  depuis huit-cents ans, avec les restes des clans de Karak Ungor, afin de prêter main-forte aux Nains de l’antique forteresse. Finalement, ce fut une petite armée forte d’un bon millier de Nains, même si pour la plupart trop vieux ou trop jeunes, qui arriva à la cité naine.

 

« Cette maigre relève ne suffit pas à changer la donne, car les attaques des gobelins et des skavens, toujours plus audacieuses, poussaient les Nains à bout. Ce fut lors de tels combats qu’Hagrim sauva Dramnir Zharrtromm, le thane d’un des clans de la forteresse, le clan Byrnik. D’étroits liens d’amitié se tissèrent entre le vieux Thane et l’héritier de Karak Ungor, tant et si bien que Dramnir lui offrit plus tard sa fille cadette en mariage. Ce fut d’ailleurs une union heureuse, ni Hagrim ni sa fiancée n’étant opposé la proposition du chef de clan. De cet hymen naquirent deux jumeaux, Hamnil et Dagrim. Ceux-ci, après la mort de Dramnir, à qui succéda son fils ainé Thar, devinrent l’arme et le bouclier du thane du clan Byrnik, et firent la fierté de leur père qui mourut de sa belle mort peu avant la chute de la forteresse, mais non sans avoir uni ses deux fils avec des femmes du clan Byrnik. Ainsi furent liés les deux clans par les liens du sang. Quelques années plus tard, Thar et ses guerriers furent pris en embuscade par des Skavens lors d’une ronde dans une mine jusqu’alors non attaquée. Il tomba au combat contre cinq rats-ogres, mais seulement après en avoir emporté quatre avec lui. Le fils de celui-ci, Godri, lui succéda.

 

« Après quelques mois où les Nains perdirent de plus en plus de terrain, les Skavens décidèrent d’accélérer les choses et empoisonnèrent les puits. De nombreux Nains succombèrent, et le vieux Roi Lunn ordonna aux survivants de sceller les tombeaux et prépara l’abandon de la forteresse. Une partie des guerriers restants préférèrent rester pour permettre une retraite honorable aux autres et trouver une mort héroïque lors de ce dernier carré. Dagrim, dont la femme et le nouveau-né avaient péri sous les effets de l’eau empoisonnée, était parmi ceux-là. On dit qu’il fut parmi les derniers à tomber lors de la toute fin des Nains du Karak.

 

« Mais la vie continua pour Godri, son clan et Hamnil. Après des années d’errance dans les montagnes, Godri trouva enfin l’endroit parfait pour construire sa forteresse : le Col au Crâne. Après des années de construction, la forteresse, nommée Karak Grom, la forteresse du Défi Éternel, fut assiégée par des gobelins et partiellement détruite avant même d’avoir été totalement terminée. En effet, il ne restait que la grande porte principale du Kazad pour compléter l’ouvrage, et celle-ci n’arriva que quelques semaines plus tard de Karak Azul. Heureusement, d’ailleurs, car avec la porte venait un petit contingent d’une centaine de Nains, dont des ingénieurs et architectes, en plus de guerriers servant d’escorte au chargement. Grâce à leur aide, la forteresse fut reconstruite et la survie des clans assurée. Ce fut lorsque la dernière pierre de la cité fut posée que naquit le fils ainé d’Hamnil : Bagrik. Bien après, la plupart des Nains de Karak Azul choisirent de rester à Karak Grom et y fondèrent leur foyer. Hamnil s’y éteignit paisiblement avec sa femme à l’âge vénérable 346 ans, laissant derrière lui un fils et une fille dans la force de l’âge.

 

« L’histoire de ma famille fait à partir de ce moment partie intégrante de la forteresse, et il n’y a plus grand-chose d’important à raconter, mis à part que je suis, depuis la mort de mon vénérable père il y a deux ans de cela,  le Thane de ce qui reste du clan royal et des autres, du Karak nordique.

 

«  Depuis toujours, l’arc offert par Ithalred, ainsi que ses autres présents, ont été jalousement gardés par ma famille en souvenir de ces jours amers et d’une des plus importantes rancunes de Karak Ungor.

 

« Ainsi recevez-vous cet arc, symbole nous montrant que la boucle est bouclée, et qu’il est temps de commencer un nouveau cycle, plus vertueux je l’espère, pour nos deux races.

                                                                                                                                                    

 

Il y eut un grand silence sur toute la salle, tous méditant les paroles de Gromdal. Même les Nains étaient étonnés de cette découverte des origines royales et de la riche histoire du clan du Thane. Après un moment, Finubar se pencha et déclara d’un air pensif :

 

— Eh bien, quel récit ! On peut dire que je me sens pour le moins très honoré de ce présent.

— Soyez en remercié, répondit Gromdal, je me réjouis de cette rencontre.

 

Il se retourna vers l’assemblée et ouvrit grand les bras :

 

— Puissent nos deux peuples progresser et s’épanouir afin que plus tard nous assurions l’avenir du monde !

 

Il allait se retourner lorsqu’un noble poussa un grand cri, sorti de la foule en pointant le Nain, et s’écria :

 

— À l’assassin ! Le Nain est armé : il a un poignard caché dans un repli de sa veste! Gardes !

 

Aussitôt, les Lions Blancs s’élancèrent, formèrent un cercle protecteur autour du roi et saisirent l’ambassadeur abasourdi par les bras, tandis qu’un autre sortait triomphalement de la veste du Nain une longue dague recouverte d’un liquide à l’aspect repoussant…

 

À suivre...

 

Le visage d’Aramir se transforma en un masque d’horreur et de profonde incrédulité alors que le garde exhibait fièrement la dague. Tous les regards, depuis Finubar à l’expression de marbre aux nobles choqués, dont certains hochaient la tête d’un air grave, en passant par les Nains ébranlés, étaient tournés vers l’arme. Celle-ci, courte et avec un long manche était garnie d’une énorme émeraude au niveau de la garde, sertie d’un serpent en or dont la tête et la queue formaient la garde. La lame en elle-même était simple et droite, faite de deux tranchant d’acier. En fait, c’était surtout le liquide qui suintait sur la lame qui attirait l’attention. Presque transparent, aux reflets d’un vert maladif, il coulait doucement sur la lame, aucune goutte ne tombant par terre. Un long moment passa, personne n’osant faire le moindre geste. Puis Finubar se leva, majestueux, et lança en elfique, ce que l’interprète s’empressa de traduire :

—      Que le Nain explique ceci !

Les lions blancs qui tenaient Gromdal s’empressèrent de le lâcher, et se rangèrent à ses côtés pour signifier qu’ils étaient toujours là. Le Nain inspira profondément et promena son regard dans la salle en essayant de se ressaisir, et ce qu’il vit ne le rassura pas. Il était fixé par une centaine de nobles aux regards accusateurs, et dont certains donnaient l’impression d’essayer de l’étrangler par télépathie… Rien de bon non plus du côté des Nains : tous étaient figés et le regardaient avec une expression oscillant entre incrédulité et étonnement. Gromdal espérait juste qu’ils ne tenteraient pas quelque action pouvant les discréditer encore plus. Surtout que vu le nombre de lions blancs autour d’eux et du trône, ça ne servirait pas à grand-chose, pensa-t-il. Il s’éclaircit la gorge et commença :

—      Eh bien, pour tout dire, je suis au moins aussi surpris que vous. Tout ce que je peux dire c’est que nous sommes victime d’un affreux malentendu et…

L’Elfe qui avait remarqué l’arme et qui était, vu son expression, de ceux voulant tuer le Nain sur place, s’exprima violemment en Reikspiel, coupant net Gromdal :

—      Mensonge ! Vous Nains n’êtes qu’une bande d’assassins sans honneur et sanguinaires ! Notre Roi vous fera exécuter, soyez en sûr, et vous ferez un exemple pour le reste de votre pitoyable race !

Ces propos enclenchèrent un bague de hochement silencieux de têtes parmi les nobles, même si la plupart avait l’aire de désapprouvé le fait que le noble s’insère de cette façon dans la discussion. De même, les Nains eurent également un regain d’énergie et auraient bien réduit l’insolent en pulpe si les gardes ne s’étaient manifestés. La compagnie dû se contenter de trépigner de rage sur place.

Gromdal non plus ne resta pas stoïque faces aux paroles venimeuses de l’Elfe, les propos lui insufflant le peu de volonté qu’il lui restait pour bien réfléchir et prouver son innocence au roi des Elfes. Il se tourna vers le noble, ses yeux se plissant pour se réduire à deux petites fentes.

—      Des assassins… sans honneur… Nous allons voir ça.

Il se retourna vers le garde qui tenait toujours la dague.

—      Bon, passez-moi ce poignard.

Tous regardèrent le Nain avec étonnement, même le garde qui ne put garder son expression de marbre face à une telle demande.

Comme le lion blanc n’esquissait aucun geste pour le lui donner, Gromdal haussa le ton :

—      Bon sang ! Est-ce que vous pensez vraiment que je suis assez fou et inconscient pour tenter quoi que ce soit contre vous et votre roi avec deux gardes autour de moi et le quadruple entourant le trône ! Alors si vous voulez vraiment que je m’explique, PASSEZ-MOI CETTE DAGUE !

Le Nain avait terminé en hurlant sur le garde, qui commençait vraiment à avoir l’air désespéré. Il lança un regard impuissant à son souverain, qui acquiesça silencieusement. Le noble, toujours le même, ne put s’empêcher de dire :

—      Mais, mon seigneur, vous n’allez tout de même pas…

Mais un geste de la main de son suzerain le coupa net. Gromdal put donc finalement obtenir l’arme, qu’il examina longuement en la tournant de tous les côtés en la gardant tout près de ses yeux en faisant bien attention à ne pas toucher à la lame. Au bout d’un moment, il rabaissa ses bras et dit :

—      Oui, je pense qu’on tient quelque chose… Laissez-moi m’expliquer et vous comprendrez à quel point ceci est ridicule.

Il tint la dague à bout de bras pour que tout le monde puisse la voir.

—      Déjà, l’émeraude est de mauvaise qualité et porte de nombreux défauts de polissage. Ensuite l’acier est lui aussi de piètre qualité : il peut difficilement se tordre, et je pense même que je pourrais briser la lame rien qu’en essayant de la courber. Puis il y l’or : c’est juste un feuille sur du fer !

Pour accompagner ses propos, il frappa le sol du pommeau de l’arme et grata un peu le bout, détachant une fine couche d’or. Relevant l’arme, il montra bien à tous le métal gris et terne qui était caché sous la feuille dorée.

—      Enfin, le point le plus important : le poison. Déjà que nous ne l’utilisons pour ainsi dire jamais… Il serait quand même peut-être bien de l’identifier, même si j’ai déjà ma petite idée…

Se faisant, il parcouru le tranchant de la lame avec son pouce, de façon à récolter une toute petite goutte du liquide qu’il posa délicatement sur sa langue. Sursautant, il cracha avec force et essuya avec précipitation son doigt sur un coin de sa tunique, qu’il déchira et jeta par terre, en s’écriant :

—      Que personne n’y touche, c’est de la malepierre !

Tout le monde sursauta et tous, même les gardes, s’écartèrent du Nain. Gromdal jeta violement l’arme par terre avant de poursuivre, plus calmement :

—      Bien idiot celui qui a voulu vous faire croire à une tentative de meurtre de ma part… Tout du moins ne connaissait-il pas les coutumes naines. Qui ignorerait que le moindre des artisans Nains ne s’abaisserait même pas à faire un travail d’une si pauvre qualité ? Qui ignorerait qu’un forgeron Nain puisse accepter d’incruster une si mauvaise émeraude dans son œuvre ? Quel Nain pourra commettre le crime de cacher une garde en fer sous une couche d’or pour vendre ses produits à un meilleur prix ? Qui pourrait prétendre ne pas savoir qu’un Nain préférerait mourir que d’avoir à assassiner lâchement quelqu’un dans son dos ? Qui oserait imaginer qu’un Nain pourrait utiliser un poison, pratique encore plus déshonorante, et surtout de la malepierre, fléau de moult de ses congénères ?

Il se tourna vers la foule avec un regard entendu :

—      Il semblerait, votre majesté, que certaines personnes de votre cour n’aient pas comme soucis votre survie, et la nôtre…

L’Elfe qui n’avait eu cesse de les haranguer s’exclama :

—      Comment osez-vous…

Offusqué, le Roi Phénix se leva et sa voix éclata dans la salle comme un coup de tonnerre :

—      Assez ! Vous, Elthanar, regagnez votre place, et retenez-vous, car je commence à en avoir assez de votre comportement indigne d’un prince de votre rang ! Quant à vous, Nain, je ne vous permets pas de parler de la sorte de mes sujets !

—      Mais seigneur, répondit platement Gromdal, il faut bien vous rendre à l’évidence que…

—      J’ai dit ! Mais vos propos m’ont fait quelque peu réfléchir, et je ne vous ferais pas exécuter sur le champ. Vous avez donc cinq minutes pour me convaincre de ne pas le faire du tout.

Le roi se rassit, tout dans son attitude montrant que son avis était fait et que rien ne saurait lui en faire changer. Le Nain haussa les sourcils et s’inclina bien bas devant  Finubar. Se relevant, il aperçut ledit Elthanar qui s’enfonçait rageusement dans la foule, restant tout de même bien en vue des Nains et du trône. Un Elfe bien nerveux, pensa-t-il, et bien envieux de me voir, ainsi que mes Nains, morts et déshonorés… En plus je suis sûr de l’avoir déjà croisé auparavant… Mais qu’importe ! J’ai d’autres choses à faire, et des plus importantes. Il s’éclaircit la gorge et reprit :

—      Bref, continuons. Comme je le disais tout à l’heure, il serait impossible pour tout Nain qui se respecte de faire une chose aussi horrible, cela va de soi. Mais si vous n’êtes pas convaincus, passons à un autre argument. Pourquoi faire ceci, et surtout maintenant ? Ce serait vraiment absurde d’avoir monté toute cette expédition pour rien. En plus, autre détail d’importance, pourquoi ne vous aurais-je pas poignardé dès le début, avant d’avoir offert tous ces cadeaux, dont la valeur, bien réelle, et énorme ! Il aurait été largement plus profitable de vous tuer au tout début de l’entretien, car nous n’aurions pas eu besoin de rapporter tous ses présents onéreux, qui ont d’ailleurs demandé beaucoup de travail de la part de nos artisans. Ensuite, si je comptais vous assassiner, ce qui aurait rendu cette mission suicidaire et nous aurais tous condamné à la mort, alors pourquoi mon roi aurait-il envoyé son propre fils et unique héritier du trône ? De même, si tous devaient mourir, pourquoi chaque forteresse se serait dérangée pour envoyer des émissaires aussi éminents et ayant une grande importance pour elles ? Non, vraiment, il y a des failles dans cette tentative de nous discréditer…

Il s’arrêta un moment avant de reprendre :

—      Mais dites-moi, votre majesté, faites-vous confiance à votre garde fouillant ceux qui veulent entrer dans ce hall ?

Finubar parut étonné :

—      Cette question ! Bien sûr que oui, Korhil n’est pas devenu le capitaine des lions blancs de Chrace pour rien !

—      Bien, il a prouvé sa valeur maintes et maintes fois, j’imagine.

—      Évidemment, mais où voulez-vous en venir ?

—      Tout simplement au fait qu’il m’aurait été impossible de passer avec une arme cachée de la sorte !

Le souverain haussa un sourcil, et Gromdal continua :

—       D’autant plus que Korhil avait l’ordre de redoubler de vigilance, j’imagine.

Finubar hocha la tête avec un semblant de réticence. Le Nain ne put s’empêcher de sourire, avant de reprendre :

—      Bon, si je n’ai pas pu passer avec une arme, il aurait fallu que quelqu’un me la donne, ou l’ai posée soit là, soit dans le jardin. Et il aurait fallu que je la prenne… Pour être franc, j’ai bien l’impression d’avoir été observé pendant tout ce temps, alors…

Il se tourna vers l’assemblée :

—      Est-ce qu’il y a quelqu’un parmi vous qui oserai m’accuser d’avoir eu une quelque réaction ou mouvement m’ayant permis de me saisir cette arme ?

Silence.

—      Est-ce qu’il y a quelqu’un parmi vous qui m’aurait vu cacher une telle arme dans mon habit ?

Silence.

—      Alors, ne vous semblerait-il pas peu, voir improbable que j’aie saisi ce coutelas ?

Le Roi Phénix n’eut d’autre réaction que de l’engager à continuer d’un mouvement de la tête. Il avait croisé ses mains sur ses cuisses, son visage était pensif et son front plissé.

—      Bon, continua l’ambassadeur nain, nous sommes donc, ou plutôt serions, dans le cas d’une tentative pour nous discrédit de mon groupe à vos yeux et de celui de la cour, c’est évident. Mais, une question qu’il faut se poser, c’est : que va-t-il se passer ensuite ?

Gromdal prit son temps pour réfléchir avant de continuer.

—      Étudions le cas où cette tentative avait réussi. Vous nous auriez pris pour des assassins, et fait exécuter sans autre forme de procès. Certes, mais allons encore plus loin : vous avez assassiné le fils unique du roi du cité naine mineure. À ses yeux sans raisons valables. Une seule solution : la guerre. « Mais ce n’est qu’une petite forteresse sans importance ! » dirait-on. Mais il n’y a pas que Kurgan, il y a tous les autres, dont d’éminents membres de forteresses, elles, bien plus puissantes ! Bref, c’est là tout la Karaz Ankor que vous vous mettez à dos, majesté ! Avançons un peu plus loin, de quelques années : Elfes et Nains sont de nouveau en train de s’entre-tuer pour des raisons des plus futiles qui soient, Athel Loren est assiégée, les Karak laissés sans défense, Ulthuan désertée. Encore plus loin : la guerre est finie : les deux anciennes puissances se sont autodétruites sans merci : Athel Loren est en feu, les flottes elfiques et nains mises à bas, les morts sont innombrables et les survivants retournent chez eux… Que trouvent-ils ? Pour les Elfes Sylvains : rien qu’une forêt brûlée, condamnée à tomber sous les hommes-bêtes et autres créatures corrompues peuplant ces contrées. Pour les Nains : leurs Karak sans défenses sont tombés entre les mains des Grobi et des Skavens ayant saisi cette occasion en or de s’approprier les derniers bastions des Dawi, les derniers Nains restants du jadis fier peuple étant condamnés à errer dans les montagnes sans but, harcelés sans relâche par les Peaux Vertes enhardis par toutes ses victoires faciles. Enfin, pour les Hauts-Elfes : les vestiges de la fière armée rentre en Ulthuan pour un court répit, car le Roi-Sorcier, non content de voir les Nains et les Elfes se retourner l’un contre l’autre, n’hésite pas à cueillir le fruit bien mûr que représente désormais pour lui Ulthuan, alors gardée par une poignée de guerriers pour la plupart blessés… Les armadas des Druchii se déversant sur les plages sanctifiées de l’île elfique, tuant et pillant, ne laissant que quelques survivants ayant pu fuir, qui se retrouvent traqués sur les mers par les corsaires du peuple déchu… Effrayante vision, n’est-ce pas ? Mais continuons notre voyage et enfonçons-nous encore plus loin dans ce futur apocalyptique : Athel Loren est depuis longtemps tombée aux mains des monstres corrompus par le chaos qui maintenant occupent la jadis glorieuse forêt. Les Nains sont désormais une légende, un mythe lointain, noyés par les Grobi, Urki et Thaggoraki, les derniers représentants de cette race sont tombés, lâchement attaqués lors de leur errance dans les montagnes, ou tués en tentant de reprendre leurs Karak perdu lors d’une croisade vouée à l’échec. De même, il ne reste plus des Hauts-Elfes que des contes murmurés avec nostalgie par les humains, les survivants de l’assaut de Malékith, autoproclamé Roi d’Ulthuan, ayant été abattus un par un par les corsaires et les assassins du noir souverain. Ou tout du moins c’est ce qu’on raconte parmi les humains. Ah ! Ils sont bien seuls maintenant ! Plus d’Elfes qui les protègent des raids Druchii ! Plus de Nains pour repousser les Ogres, Orcs, Gobelins, Guerriers et Nains du Chaos ! Les derniers royaumes libres humains — Tilée, Bretonnie, Arabie, Empire, principautés frontalières… — croulent sous les cultistes et les Skavens qui les rongent de l’intérieur, tandis que de l’extérieur attaquent les puissances de la destruction. Un peu plus tard, l’Empire, dernière contrée libre, tombe aux mains des serviteurs du Chaos… Et voilà ! Le monde est devenu un océan de sang, un autel à la gloire des divinités de la destruction, où les serviteurs du Chaos se livrent un éternel combat, où les Orcs et Gobelins délivrent partout des Waaaagh incessantes contre tous les ennemis qu’ils peuvent croiser, où les Nains du Chaos conquièrent pas à pas les anciennes forteresses Naines et étendent leur empire, faisant des Peaux-Vertes qu’ils croisent leurs esclaves, où les Skavens rongent les sous-sols de la terre, s’entre-tuant dans des combats sans merci et à coups d’assassinats !

Gromdal planta ses yeux dans celui de Finubar :

—      Alors, est-ce ce à quoi vous voulez condamner notre monde, ô roi des Elfes ? Pour un simple coutelas glissé dans l’habit d’un Nain ? Réfléchissez bien à vos actes futurs, ô suzerain de l’île éternelle ! Cela pourrait avoir beaucoup plus de conséquences que vous ne le croyez…

Le Nain s’arrêta un moment. Un lourd silence recouvrait le hall comme un linceul. Puis l’ambassadeur repris de plus belle :

—      Bon, nous avons donc le moyen et le but. Reste à savoir : qui ? Qui pourrait bien vouloir commettre une pareille chose ? J’ai déjà ma petite idée… Mais suivons un raisonnement logique : ceux à qui tout ceci peut profiter sont, comme on l’a vu, les puissances de la destruction, soit les Skavens, les Peaux-Vertes, les serviteurs des quatre dieux sombres, les Nains du Chaos, les Hommes-bêtes, les Ogres, et enfin les Elfes Noirs. On peut déjà, je pense, écarter les Hommes-bêtes, les Ogres et les Peaux-Vertes, car je les tiens incapable d’élaborer un tel plan. Restent donc Druchii, Dawi Zharr et les suivants des Quatre. Nous pouvons écarter les Nains du Chaos car ils ne se manifestent que par des assauts frontaux et massifs, utilisant la force brute et non les traîtres assassinats. Il nous faut donc dompter uniquement sur les deux suspects les plus… suspects, qu’il nous reste, soit les cultiste et les Elfes déchus. Les deux sont tout aussi probables l’un que l’autre, vu que les deux sont présents, infiltrés dans votre société. Je me trompe ?

Le Roi Phénix opina avec réluctance. Gromdal continua :

—      Mais il y a bien matière à les départager : les Nains et les Elfes qui s’entre-tuent… Ça ne vous rappelle rien ? Moi si. Surtout que ce à quoi je pense avait débuté de la même façon : par de lâches assassinats. La Kazak-a-Dammaz, ou la guerre de la Barbe, si vous préférez. Et qui en était, et est toujours, à l’origine ! Le morne roi des terres glacées, le prince déchu, le traitre à son sang : Malékith !

L’ambassadeur marqua une longue pause. Personne ne bougeait, et l’on pouvait entendre les bruits venant du port, pourtant lointain,  Le Nain continua en comptant sur ces doigts :

—      Nous avons maintenant, le but, le moyen et le commanditaire… Ne reste plus qu’à trouver l’exécuteur du crime…

Finubar ne put s’empêcher de hausser légèrement la commissure de ses lèvres et dire :

—      Et évidemment, vous avez déjà « votre petite idée », j’imagine.

—      Effectivement, concéda humblement le Nain.

Ce dernier se tourna vers la cour, scrutant chaque visage. Se faisant, il continuait à parler :

—      Tout à l’heure, et c’est, il me semble, le seul moment possible où on aurait pu me glisser cette dague dans mon vêtement, j’ai été bousculé par un noble en sortant dans les jardins. Celui-ci ne s’était d’ailleurs pas arrêter  pour s’excuser et m’avait juste jeté un regard haineux. Maintenant je comprends mieux pourquoi…

C’est alors qu’il croisa le regard d’Elthanar, qu’il l’observait avec une expression féroce. Ce regard… pensa Gromdal. C’est alors qu’il comprit.

Le noble dut le remarquer au jugé de son expression, car il écarquilla les yeux et tourna les talons, fendant innocemment et cependant avec rapidité la foule bigarrée des princes, nobles et Elfes distingués que formait l’assemblée. Gromdal ne perdit pas un instant et s’écria, pointant le fuyard :

—      C’est lui, arrêtez-le ! C’est un traître, un espion ! 

 

Malheureusement pour lui, les Lions Blancs ne réagirent pas au cri du Nain, et aucun d’entre eux ne se décida donc à arrêter le Noble qui s’approchait toujours un peu plus de la porte. Ils doivent penser que c’est une tentative de diversion… pensa le Nain. Il eut atteint le summum du désespoir si Finubar ne s’était pas décider à lancer :

 

—      Elthanar, venez ici.

 

À ces mots, Gromdal releva la tête. La flamme de l’espoir n’était pas tout à fait éteinte, après tout. Il observa le noble revenir sur ses pas, sous les regards de tous les membres de l’assemblée. Il s’arrêta près du trône, le visage tendu. L’ambassadeur nota que la sueur perlait sur le front de l’Elfe. Après tout, il risque gros, lui aussi, car si nous ne sommes pas exécutés, se sera lui qui perdra sa tête… Le Nain espérait sérieusement que cela allait se passer ainsi. Il ne ressentait à l’égard de ce jeune coq qu’une haine intarissable : s’ils en étaient là, c’était bien à cause de lui ! Surtout que la partie n’est pas jouée…pensa amèrement Gromdal, avant de se reconcentrer sur ce qui se passait autour de lui. Le Roi Phénix reprit la parole :

 

—      Vous, Elthanar, vous êtes consignés jusqu’à nouvel ordre dans un des appartements de l’aile ouest. Un de mes gardes vous y emmènera et veillera à ce que vous ne faisiez pas de … bêtises. Quant à vous, maîtres Nains, je vous enferme dans une cellule jusqu’à ce que j’aie décidé de votre sort.

 

Gromdal frémit en entendant ces propos. La prison, il ne manquait plus que ça… Un des gardes ne s’avança et demanda la parole. Finubar la lui donna.

 

—      Mais, seigneur, que faisons-nous des autres Nains, restés dans leurs quartiers ?

—      Y sont-ils toujours ? demanda le roi.

—      Oui, ils ne voulaient partir qu’après le retour de leur délégation.

—      Bien, alors veillez qu’aucun ne sorte, et tout ira pour le mieux. Faites aussi en sorte qu’ils n’apprennent pas ce qui s’est passé ici, j’aimerais éviter toute effusion de sang inutile.

—      Tout sera fait selon vos ordres, mon roi.

 

Et le garde parti, portant les ordres de son suzerain. Ce dernier se tourna vers l’assemblée, se leva et prononça :

 

—      Chers Nobles, la présente assemblée et terminée. Nous nous retrouverons demain, à midi, pour avoir le fin mot de cette affaire.

 

Descendant les marches menant au trône, Finubar désigna quelques gardes.

 

—      Faites-en sorte qu’ils trouvent le chemin de leur cellule. N’importe laquelle, peu importe, tant que je les ai demain à midi et en bonne santé. C’est clair ?

 

Puis, se tournant vers l’assemblée, toujours là à le regarder :

 

—      Vous pouvez partir, j’ai dit.

 

Les seigneurs elfiques commencèrent donc à partir de la salle. Avisant Menieth, non loin, le Roi Phénix lui adressa la parole :

 

—      Non, noble Menieth de Tor Caelir, vous, vous restez avec moi. J’ai à m’entretenir avec vous.

—      Si tel est votre désir, mon Roi.  

 

Ils attendirent ainsi que la salle se vide, les nobles se dispersant en petits groupes, et les Nains partant vers leur cellule, conduit par les gardes, sans oublier Elthanar guidé par le Lion Blanc. Quand tous furent partis, à l’exception des Lions Blancs, Menieth demanda :

 

—      Que voulez-vous qui requiert mon aide ?

 

Finubar descendit de son trône et le prit par les épaule, l’emmenant marcher avec lui dans la salle désormais vide, et lui dit :

 

—      Je ne veux pas que l’on dise que j’ai cru au récit du Nain, mais il y avait au moins un fond de vérité dans ce qu’il disait. Au moins, il croyait en ses propos, et ça se voyait. Maintenant, j’aimerais avoir votre avis là-dessus, puisque vous avez passé un certain temps avec ces personnages.

—      Vous êtes sûr que vous voulez mon avis ? demanda Menieth, interloqué. Aramir ne serait-il pas plus apte à répondre à cette question ?

—      Sûrement, mais je ne lui fais pas entièrement confiance… Il est tellement engoncé dans son idée d’alliance qu’il pourrait être influencé dans ses propos, ou même aveugle au fait que les Nains puissent être vraiment coupables. Quant aux autres Maîtres du Savoir, tout ce que nous savons d’à peu près fiable sur ce peuple remonte à plus de cinq mille ans, et le reste n’est que préjugés… Donc oui, pour le moment, vous êtes ce que j’ai de plus fiable sur les Nains.

 

Menieth prit une grande inspiration, et soupira avant de répondre.

 

—      Soit, voilà ce que je peux vous dire. Tout d’abord, l’assassinat n’est pas dans les coutumes naines, le déshonneur est trop grand. La plupart préféraient mourir cent fois que d’en commettre un seul, et, de plus, Gromdal est encore plus penché sur l’honneur que la plupart de ses congénères. Il serait plutôt venu vous défier en duel que de s’avancer avec un couteau sous se veste… De plus, je ne vois aucun motif quant à un grief de sa part à l’encontre de votre personne, étant donné qu’il n’a aucune rancune contre vous. Il vous l’a même dit : la dernière rancune que sa famille portait contre des Elfes remonte à cinq mille ans et a été de toute façon réglée… En plus, il a une dette, tout comme tous les habitants de la forteresse, envers moi et ma famille, étant donné que je les ai jadis sauvé d’une horde de Nains du Chaos, et il sait très bien que tuer le Roi Phénix, c’est courroucer tous les habitants d’Ulthuan, quels qu’ils soient. Autant de raison qui fond qu’il ne peut, ou pouvait, pas porter de coup contre vous.

« En plus, comme il l’a fait remarquer, un tel acte plongerait nos deux races dans une guerre sans issue … et sans gagnants. D’autant plus que les conséquences pourraient en être désastreuses, mais pas seulement pour nos deux peuples. D’ailleurs, on a bien vu que ceux qui pourraient profiter de cela serait les puissances du chaos… Moi je vois bien les Druchii derrière tout cela. Après tout, ils étaient derrière la Guerre de la Barbe et en ont bien profité, alors pourquoi ne tenteraient-ils pas une deuxième ? 

—      Vous avez l’air très convaincu du discours du Nain, Menieth.

—      Vous m’avez demandé mon avis, Votre Grâce, et tel est-il.

 

Le Caledorien s’arrêta, et Finubar avec lui. Voyant l’air pensif et accablé de Menieth, il demanda :

 

—      Qu’y a-t-il ?

—      Non, c’est que… J’ai une autre raison de croire en la bonne foi de l’ambassadeur…

—      Eh bien, dites-là !

—      Mais, c’est que… je ne sais pas si…

—      Nous sommes seuls, voyez-vous, ne serait-ce que pour mes Lions Blancs. Mais vous pouvez leur faire confiance. Aucun mot de ce que vous me direz ne sortira de cette pièce, si vous l’exigez.

 

Menieth se redressa après avoir respiré profondément :

 

—      Non, j’assumerai mes propos. Tout à l’heure, je donnais une démonstration, dans les jardins, de mes prouesses en voltige sur mon griffon, Vif-Argent — qui m’a d’ailleurs été offert par le roi de Karak Grom — et j’avais remarqué quelques Nains sortir du hall. Je me suis donc approché, toujours au dos de mon griffon, et j’ai reconnu Gromdal. Mais c’est en passant au-dessus d’eux que j’ai remarqué quelque chose d’étrange : un Elfe fonçait droit sur Gromdal, et lorsqu’ils se bousculèrent tous les deux, le soleil se refléta sur un objet métallique qui brilla fugacement dans les mains de l’Elfe avant de disparaitre. Je me suis dit que c’était le reflet des bracelets de Gromdal et que le soleil m’avait joué un tour… Puis j’ai oublié l’affaire alors que je descendais de ma monture pour saluer le Thane.

 

Il se retourna vers son suzerain :

 

—      Vous pouvez en tirer toutes les conclusions que vous voulez, mais moi, je me rappelle bien des propos du Nain : « si je n’ai pas pu passer avec une arme, il aurait fallu que quelqu’un me la donne ».  Voilà. C’est tout ce que je peux vous dire. Est-ce que mon Roi a encore besoin de moi, ou suis-je autorisé à le quitter ?

 

Le Roi Phénix sourit d’un sourire fatigué, posa sa main sur l’épaule du noble.

 

—      Non, c’est bon, je n’ai plus besoin de vous Menieth, vous êtes libre de partir. Soyez remercié de votre aide, car vous m’avez été plus qu’utile…

—      C’est un honneur que de vous servir, mon Roi.

 

Disant ces propos, Menieth s’inclina et sortit. Il ne put s’empêcher de penser, lorsque la lourde porte du hall se referma derrière lui : Asuryan, qu’ai-je fais !

 

* * *

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